Vendredi 9 juillet

Une de l'éphémère N7

Changement sur la grille

Aucun changement.

Soirées exceptionnelles, événements

14h15 Pour les tout-petits présentation Virginie Taravel, réalisatrice Nicolas et Guillemette

14h30 Comme un poisson dans l’eau présentation Jean Rubak et Fin de concession présentation Pierre Carles, réalisateur, projection suivie d’un débat

14h30 Tandis qu’en bas des hommes en armes présentation Samuel Rondière, réalisateur

16h L’Ouragan Kalatozov présentation Patrick Cazals, réalisateur / Médiathèque Michel Crépeau

16h15 Rencontre avec Peter Liechti et Michel Favre (modérateur) / Théâtre Verdière La Coursive

18h30 Soirée à l’Île d’Oléron Yoyo de Pierre Etaix et Petite Suite pour films et cordes ciné-concert Jean Rubak / Eldorado de St-Pierre-d’Oléron

20h15 Soirée exceptionnelle Cinéma en Poitou-Charentes La Tête ailleurs présentation Frédéric Pelle, réalisateur / Grande salle La Coursive

22h Des filles en noir présentation Jean-Paul Civeyrac, réalisateur

Edito

Jean Rubak, Peter Liechti, Eric Rohmer, Ghassan Salhab, Elia Kazan, Greta Garbo, le programme du jour est un bon exemple de l’éclectisme du Festival. Et pourtant, malgré la diversité  des époques et des origines, tous se rejoignent dans une même modernité. Vous avez dit « modernité » ? Eh oui, n’est-ce pas ce qui caractérise les plus grands classiques ? Modernité et classicisme sont d’autres mots pour « universalité ». On l’atteint par le biais du conte avec Jean Rubak et Eric Rohmer, par la fresque historique esthétisée d’Elia Kazan, le mythe intemporel de Greta Garbo, la fiction métaphysique de Ghassan Salhab et les alchimies de Peter Liechti. Chaque film se fait expérimentation magique, interrogation permanente de  l’image et de l’homme, au centre de tout. L’universel est dans l’individu. Et vous, que cherchez-vous dans le cinéma si ce n’est une part de vous-même pour mieux comprendre le monde  ?
Viviane Saglier

La clé des songes

Jean Rubak est musicien et réalisateur de films d’animation. Il dirige sur le Festival l’ensemble Petite Suite pour films et cordes, ainsi que l’atelier de la prison de Saint-Martin-de-Ré.

Vous êtes d’abord cinéaste d’animation, comment l’êtes-vous devenu, et pourquoi l’animation ? D’abord cinéaste d’animation ?

Jean RubakOh, non ! J’ai envie de faire du cinéma, c’est tout ! Mon oncle comédien, Guy Decomble, écrivait avec mon père des commentaires pour les documentaires de la RKO, ceux de Disney par exemple. Ils m’emmenaient avec eux aux Studios de Gennevilliers, et pour que je ne m’ennuie pas (j’avais 7 ans), ils m’installaient dans une salle de montage. J’ai vu mon premier dessin animé sur cette mécanique extravagante, en regardant les images à travers une grosse loupe. C’était le cinéma. Merveilleux. Je ne vais presque jamais voir un film parce qu’il est en animation. Ni parce qu’il est en couleurs ou que c’est un western, peu importe le genre ou la technique. D’ailleurs, j’ai l’impression que ces cloisonnements tendent à disparaître dans le cinéma d’auteur, surtout : l’industrie et le marché ont besoin de produits plus formatés. Quand, adolescent, j’ai eu envie de réaliser un premier film, je ne pensais pas le faire en animation. J’ai pensé à un sujet en vues réelles… et un jour je me suis dit que ce serait mieux en animation. Je venais de voir une séance de courts métrages, dont certains en animation. Dans les années 60, ce n’était pas évident de faire un film d’animation ! Il n’y avait pas d’écoles, pas de séries télévisées, le CNC ne s’y intéressait pas. Justement, j’ai choisi ce moyen d’expression pour son originalité : presque personne ne faisait d’animation ! C’était un petit coin discret. Aujourd’hui, l’autoroute y passe ! J’ai peut-être aussi choisi ce moyen parce que c’était plus facile pour autoproduire un premier film, l’animation, ce n’est pas trop cher. Le problème, c’est que ça amène souvent à travailler seul, alors que ce que je préfère dans le cinéma, c’est le travail d’équipe… et les actrices, bien sûr. N’empêche, l’animation, c’est la partie la plus « vraie » du cinéma, la plus proche de son essence, de son enfance. Reynaud, Méliès, Cohl, la magie, l’art forain…le miracle de l’image par image !

Quelle est votre inspiration visuelle ?

Oh là, encore faudrait-il être inspiré ! Et en l’absence de ce souffle divin, les raisons qui font choisir les images sont plus terre à terre. A partir du moment où l’on a l’idée d’un film, on  cherche ce qui pourrait servir cette idée.

Telle photo dans un magazine : voilà la lumière que je voudrais avoir, ou bien, comment Daumier (ou Fragonard, ou Clovis Trouille ou… ) aurait peint ça?

Il n’y a pas de règle, des rapprochements, c’est tout et souvent paradoxaux ! Contre-emploi, paradoxe, on en revient toujours là : penser, c’est dire non. Un exemple, je vois les affiches du Festival, de Stanislas Bouvier, et je me dis qu’on doit souvent lui proposer des illustrations dans le fil du surréalisme belge… J’aimerais plutôt travailler avec lui sur un genre d’opérette ! De toute façon, cela ne me paraît pas indispensable de faire, moimême, les images d’un film que je veux réaliser !

Faites-vous la musique de vos propres films ?

J’en serais bien incapable ! Chaque fois que je dois faire quelque chose sur un film, je me demande si je ne pourrais pas trouver quelqu’un qui ferait ça mieux que moi… De toute façon, c’est mon film. Le réalisateur, c’est celui qui apporte les cafés (avec assez de gentillesse pour donner de l’esprit à tout ça) et qui signe. Au-delà, le cinéma devient assez vite pompier.

Comment est née cette idée de faire des concerts dans des lieux inhabituels ?

Parce qu’il y a déjà bien assez de gens qui font les choses qu’il faut, là où il faut ! C’est plus facile de vivre en marge de la compétition, c’est pour ça que j’aime ce Festival. Un des  premiers disques de Maurice Baquet portait ces deux commentaires : « De tous les violoncellistes que je connais, Baquet est le meilleur skieur ». Et puis, « De tous les skieurs que je connais, Baquet est le meilleur violoncelliste ». ! Quel exemple pour nous tous! Vous travaillez avec les détenus de la prison de St-Martin-de-Ré et vous avez de même un projet avec les patients de l’hôpital psychiatrique…

Comment sont nés ces beaux projets ?

Les deux sont des initiatives du Festival. Mais en ce qui concerne le projet avec l’hôpital, l’idée est née le jour où j’ai vu Les Dents du singe de René Laloux, tourné à la clinique de La  Borde. écoles, prisons, harems, asiles, casernes, bureaux, usines, stades ou fourrières… Quel autre projet peut-on avoir que d’ouvrir tous ces lieux d’enfermement?
Propos recueillis par Viviane Saglier

Corps et décors

Terra Incognita

Terra Incognita, Beyrouth comme une zone vide à emplir, ou une zone d’ombre à éclaircir. Entre vide et trop plein, la ville respire dans ce mouvement de construction et déconstruction permanente, dans lequel les corps des protagonistes cherchent à se poser. Soraya guide les touristes entre les ruines passées et futures. Les temples millénaires de Bal, fragmentaires, répondent aux restes des guerres du présent. Le corps de Soraya se fraye un chemin entre les failles des bâtiments, elle entraine avec elle des hommes pour un rapport plus ergonomique. Son corps qui se tord pour plier la rigueur des murs. Gardienne du passé, elle n’accepte pas le retour de Tarek que tout le monde croyait mort. Tarek, qui n’existe plus dans cette ville qu’il a quittée depuis dix ans, qu’il a reniée et qui l’a renié. Le passé est mort, il appartient aux livres d’histoire. Le présent, lui, se raconte à la radio, mais ne se subit pas moins. Haïdar présente les informations à la radio, il est le spectateur de son propre discours, et réduit à une voix absente au corps. Cette radio, omniprésente, que l’on assimile bien vite à la voix off qui guide le montage. Nadim, quant à lui, traine sa carcasse avachie jusqu’à son ordinateur où il se replie hors du réel, tout en pensant le manipuler depuis le clic de sa souris. Il remodèle Beyrouth réduite à des pixels géométriques blancs à superposer. Puis il retourne se cacher sous ses draps, refusant de voir ses amis. « De la connerie », dit Soraya des immeubles qu’il a fait construire. Leyla, quant à elle, ne comprend pas la révolte de Soraya contre ses amis, elle s’en prend directement à Dieu, qu’elle hait pour mieux adorer. Se cherchant une place dans cette ville fragmentée, les corps cherchent de la même manière à s’incarner. Quelle place pour l’homme dans son propre instinct de destruction ?
Viviane Saglier

Le chant de Liechti

Peter Liechti est scénariste et réalisateur, son travail se fait en collaboration avec de nombreux musiciens tels Roman Signer ou encore Norbert Möslang.

Vous avez confié avoir voulu être musicien, comment finalement vous êtes-vous tourné vers le cinéma?

Peter Liechti

J’ai toujours considéré la musique comme l’art le plus beau, le plus admirable ; la musique dégage une telle émotion. C’est un véritable langage universel. Me tourner vers la musique signifiait pour moi devenir un grand musicien pour être à la hauteur des artistes que j’admirais. Mais lorsque que je m’y suis ouvert, j’avais déjà vingt ans, il était trop tard. J’ai eu la même sensation pour la littérature qui me passionnait ; j’avais trop de respect pour les grands écrivains pour m’y lancer. C’est pourquoi le cinéma a été pour moi une révélation. Il permet de combiner les deux.

Pouvez-vous nous parlez de vos collaborations avec Roman Signer et Norbert Möslang ?

J’ai suivi des études d’Art, je n’ai pas fait d’études de cinéma. Quant j’ai commencé à m’intéresser au cinéma et à monter mes propres courts métrages j’ai naturellement souhaité  collaborer avec mes amis, dont plusieurs artistes. J’apprécie de travailler avec eux car ils ont cette ouverture, cette sensibilité particulière très enrichissantes pour moi. Certaines thématiques ou certains paysages apparaissent souvent dans vos films, cela prendil une signification particulière? Mes films sont liés à ma vie et s’inspirent d’élément, de l’environnement qui m’entourent et de ma propre expérience. Les Alpes forment un paysage que je connais bien et qui m’a beaucoup inspiré. Le paysage représente un miroir de mes humeurs, c’est l’écran dans lequel je peux projeter mon ressenti.

Comment choisissez-vous la trame de vos scénarios ?

Chaque film demande beaucoup d’énergie, c’est un moment de ma vie. Le travail et la vie quotidienne se mélangent, ce qui influence nécessairement mon inspiration. Cela ne doit pas être une répétition, mais plutôt une continuation. Ce qui m’intéresse c‘est de faire des nouvelles expériences, et de progresser sur un plan personnel. L’idée d’un film est finalement toujours imprévisible. Les thèmes eux-mêmes nous jouent des tours. Lorsque j’ai réalisé Jean Le Bienheureux j’avais l’impression de faire un film qui évoquait la vie à travers un homme qui a décidé d’arrêter de fumer; mais je me suis rendu compte que cela reflétait la mort. Inversement pour Le Chant des insectes, je pensais aborder le thème de la mort et j’ai réalisé que cela représentait une étude de la vie. Quand on réalise un film, on ne sait jamais véritablement ce à quoi on va aboutir.

On a parfois qualifié vos films de cinéma expérimental, qu’en pensez-vous ?

Je n’apprécie pas ces catégories dans lesquelles on classe les artistes. Selon moi c’est une façon de les mettre dans l’ombre. Quant au qualificatif d’expérimental, c’est un terme qui est aujourd’hui complètement désuet. Mon travail n’est pas expérimental ; je peux bien sûr expérimenter dans mon atelier, mais ce que je montre au public n’est pas de l’expérimentation mais quelque chose de bien fini. Vous avez reçu des prix prestigieux et vous avez été l’invité de plusieurs Festivals.

Cette reconnaissance est-elle importante pour vous?

Malheureusement, oui! La réception auprès du public est importante. On fait des films avant tout pour qu’ils soient vus. La reconnaissance représente également une certaine garantie,  et une plus grande liberté. Mais il ne faut pas non plus être obsédé par le succès.

Il est lui-même difficile à définir ; le succès signifie-t-il la reconnaissance par ses pairs, le public, ou  encore la critique ?

On peut très bien être reconnu par la critique et que le public ne soit pas au rendez vous ; et inversement. On doit donc garder un certain recul.

Propos recueillis par Laura Bordage

La belle évanouie

La Marquise d'O

Au Château d’O…, vit la marquise d’O…. Prostrée dans son domaine comme une perle dort dans son huître, chérie par sa famille comme respectée et admirée aux alentours, une grossesse inattendue viendra ternir sa douce vie de sirène, claire et limpide comme de l’eau de source. Le film de Rohmer se laisse lire comme un conte. A peine un événement estil annoncé qu’il se présente, comme par enchantement. Un déterminisme, si immédiat qu’il en devient surnaturel, nous berce au cours de l’histoire, qui n’est pas sans évoquer l’enchantement biblique. Nous ne manquerons pas de rapprocher les fondus au noir qui closent presque chaque séquence de La Marquise d’O… à la pénombre de La Madeleine pénitente de Georges de la Tour. Cette comparaison nous rappelle l’air candide de la pècheresse biblique, sa pureté immaculée dans le repentir. La marquise de Rohmer, son « ange » s’en rapproche étrangement. En éliminant tous les artifices possibles de son film, en le distillant pour ainsi dire, ainsi qu’un mage le ferait de son filtre magique, le réalisateur friand d’épopées d’amour courtois – ainsi que le prouve Perceval le Gallois – ne garde de complexe que la sobriété de la trame narrative et la psychologie des personnages. Anges ou démons ? Chez La Marquise d’O comme chez ses parents et son prétendant, la tension est ténue entre amour et haine : deux opposés extrêmes. « Tu ne m’aurais pas semblé un démon si à ta première apparition, tu ne m’avais pas semblé un ange. »

Linda Zheng

Il est dans les montagnes

Viva Zapata !

Quelques enfants vêtus de pyjamas miteux s’avancent dans le bureau de Papa et baissent le regard en passant devant le portrait imposant, sur le mur. L’homme ne tarde pas à faire son entrée. Alors qu’il sermonne, les autres se taisent et l’observent. De ce champ/contrechamp naît alors un malaise : quel est cet imposteur qui profère des absurdités ? Loin dans la profondeur de champ, loin derrière ceux qu’il appelle ses « enfants », son image lui fait face, clouée au mur, silencieuse et respectable, cette image qu’on désire, cette image qu’il semble vouloir incarner. Mais Papa n’est pas à la hauteur de sa propre représentation. Au milieu de la foule, un « homme » prend alors la parole. Poupée grotesque aux paupières épaisses, haut d’une tête de plus que les autres, il engage la confrontation. Des plans plus serrés des deux hommes nous donnent à voir l’énervement de Papa, démasqué dans son hypocrisie, et la nonchalance de son adversaire… Mais qui donc est ce dernier ? Son nom vient alors s’ancrer dans notre mémoire, car entouré sur le papier : Zapata. Mais ce n’est qu’un nom. Le génie de Kazan dans toute cette histoire, c’est bien de souligner la futilité de tout ce qui peut être écrit, ou même dit. Importent avant tout l’image et sa progression. Le dialogue, lui, s’évapore à leur contact, et le personnage de Zapata en est la parfaite incarnation : illettré, introverti et bagarreur, il est une image brute, une image grossière qui trace son chemin dans le naturel, se dispensant des conventions humaines afin de vivre, pour lui et les autres. Il faut voir à ce titre cette scène hilarante où il remporte une joute de proverbes lors d’un repas avec celle qu’il convoite : on sera plus frappé par son image que par son discours. Les mots, de plus en plus abstraits, cesseront bientôt d’exister : évaporés, ils laisseront place à la contemplation de ce visage si particulier, très beau et très laid à la fois, emporté par une énergie naturelle bien que recouvert par l’artificiel (maquillage, prothèses). De fait, il serait dommage de réduire Zapata à un homme, car on tomberait dans une lourde symbolique : le leitmotiv des barreaux, par exemple, bien qu’ingénieux, réduit Zapata à sa pure dimension d’individu insatisfait, constamment poursuivi par d’incessants combats. Non, Zapata est ailleurs, ou plutôt il est partout : dans cette traînée de poudre que Kazan filme avec tant de fascination lors d’une scène d’attentat rebelle, par exemple, ou dans ces corps qui ne cessent de chuter. Il est un espoir, une idée dans l’air. Il ne peut donc pas mourir. Comme le dit si bien un de ses partisans : « Peut-on tuer un fleuve ou le vent ? »

Benjamin Hameury

Mater Dolorosa

Anna Karenine

Anna Karénine (1927) est la première des deux adaptations que fera Greta Garbo du roman de Tolstoï, la seconde étant parlante. Tout commence avec un visage, voilé de crêpe blanche, pris dans une tempête de neige, au moment où le coeur rencontre une tourmente bien plus grande en la personne du Capitaine Vronsky. Les deux se réfugient dans une auberge, le voile de dentelle tombe avec la sensualité d’une lingerie fine. La blancheur du visage de Greta illumine celui de John Gilbert, amant dans la vie comme à l’écran. Le sourire victorieux et béat de Vronsky ne cessera de répondre au regard fiévreux et tourmenté d’Anna, creusé par un manque chaque fois renouvelé, l’absence alternée de l’amant et du fils. Deux absences pour un amour profondément emmêlé. Anna embrasse son fils sur la bouche et le couvre de baiser comme elle se jette au cou de son amant. La jalousie de Vronsky s’éveille, c’est la chair de la chair contre l’amour de la chair. Greta apparait ainsi pour la première fois non plus comme une femme divine et inaccessible, mais belle et mortelle comme un rêve de pierre, visage sculpté dans une chair pétrie des émotions d’une mère. Divine maternité, le corps de marbre est organique. Si le film n’a pas le tragique du livre dont il se réclame, la force émotive se reporte sur Greta elle-même, qui en humanisant son personnage se livre toujours davantage. La fragilité a remplacé l’évanescence.
Viviane Saglier