Changement sur la grille
Samedi 3 : Le film (Posthume) prévu à 11h au Dragon 3 sera remplacé par Le celluloid et le marbre d’Eric Rohmer.
Soirées exceptionnelles, événements
10h30 L’Ours et le Magicien animation par Valentin Rebondy, distributeur
11h Le Baiser présentation N.T. Binh, critique
11h En compagnie d’Éric Rohmer présentation Marie Rivière, réalisatrice
11h Taking Off présentation Jean-Claude Carrière, co-scénariste
13h30 France Culture / Enregistrement public « Projection privée » de Michel Ciment, avec Lucian Pintilie, Marie-France Ionesco et N.T. Binh / Salle des Rencontres La Coursive
14h Conte d’été présentation Diane Baratier, chef opérateur
14h30 La Chair et le Diable présentation N.T. Binh, critique
15h et 16h Départs Balade cinématographique dans La Rochelle
16h John Boorman, portrait présentation Michel Ciment, critique / Médiathèque Michel Crépeau
16h15 Table ronde autour d’Éric Rohmer avec Marie Rivière, Béatrice Romand, Rosette, Diane Baratier, Françoise Etchegaray, André S. Labarthe, Paul Virilio, et Alain Bergala (modérateur) / Théâtre Verdière La Coursive
17h30 Dissolution présentation Umesh Vinayak Kulkarni, réalisateur, et The Damned Rain présentation Girish Kulkarni, acteur principal
20h The Well présentation Umesh Vinayak Kulkarni, réalisateur, et Girish Kulkarni, scénariste
20h Soirée Fondation Groupama Gan pour le cinéma En pleine forme et Le Grand Amour présentation Pierre Étaix, réalisateur / Grande salle La Coursive
21h45 Conte d’automne présentation Marie Rivière, Béatrice Romand, actrices et Diane Baratier, chef opérateur
Edito
Viviane Saglier
Le Festival nouveau est arrivé ! Si l’année a commencé bien tristement avec la disparition d’Éric Rohmer, le joli juillet est l’occasion de rendre hommage à ce cinéaste si singulier et attachant. Hommage aussi à Garbo, au regard aussi mystérieux que le sourire est divin, et à Kazan, à l’oeuvre complexe et trop mal connue. Sur le fil des cotillons brillent mille découvertes, la steppe kazakhe de Dvortsevoy, les expérimentations métaphysiques du suisse Peter Liechti, le sourire retrouvé de Pierre Etaix, la ville, mouvante comme les sables, du libanais Ghassan Salhab, et l’Inde, toute en couleurs et subtilités. La caméra se fait question dans les mains de Valérie Mréjen et Andrew Kötting qui se partagent la résidence. Les images oguent sur les portées musicales du grand musicien Georges Delerue, comme au rythme des ciné-concerts de Jacques Cambra et Jean Rubak. Comme toujours, le festival est aussi l’occasion de redécouvrir des chefs d’oeuvres aux pellicules rajeunies, et d’éditer les inédits ! Ni barrière ni frontière pour faire de cette fête du cinéma une vraie fête !
En compagnie de Marie Rivière
Marie Rivière, actrice fétiche de Rohmer, nous parle de sa relation avec le cinéaste et de son travail sur le documentaire En Compagnie d’Éric Rohmer, projeté le samedi 3 juillet à 11h et samedi 3 juillet, à 16h15, Marie Rivière sera présente, à la table ronde Éric Rohmer.
Comment avez-vous rencontré Éric Rohmer ?
Je travaillais dans une École maternelle mais je voulais être comédienne. Je voyais, tous les jours, devant le cinéma de Saint-Germain-des-Prés, l’affiche de l’Amour l’après-midi. Pour moi, c’était du cinéma moderne. Le film a un contenu très fort parce que ça parle de la fidélité, et moi à vingt ans, j’étais très fidèle. J’ai décidé d’écrire à Éric Rohmer. Il m’a proposé de dire quelques phrases dans Perceval le Gallois. Après, il a fait un petit film, en polaroïd, qui a disparu car le polaroïd s’efface. C’était tourné dans le square Galliera, à côté du bureau, c’était un film muet avec Rosette. C’est là que s’est déclenchée chez lui une envie de travailler avec moi. Et puis a suivi la Femme de l’aviateur, le Rayon vert…
Comment vous faisait-il travailler le rôle en amont ?
Ça dépend des ilms. La Femme de l’aviateur c’est un film très classique pour lequel j’ai appris à lire un texte au plus près. On attaquait au bureau, après on répétait sur les lieux, qui n’est pas loin. Chez Éric, tous les lieux se recoupent. Ils se recoupent aussi dans mon film forcément. On répétait beaucoup. À tourner, par contre, ça allait très vite. À des gens, il leur disait de citer des vers, ce qui était un exercice difficile. Il voulait connaitre la diction, entendre tous les pieds des vers, même si après c’était un film moderne. C’était pour voir si l’acteur « s’animait » comme il disait, s’il n’était pas figé. Il aurait souhaité qu’on entende tous les mots, toutes les doubles négations, les virgules, les respirations, mais que ce soit comme si c’était naturel. Le Rayon vert, c’était une autre chose, puisque c’était de l’improvisation, mais on l’avait énormément répété. Parce que l’improvisation, ce n’est pas une chose évidente. Il ne tournait qu’une seule prise, ou peut-être deux. Le montage était calculé lors du tournage. Vous êtes restée en contact avec lui même en dehors des tournages. Oui, Il y avait un vrai plaisir à le fréquenter et à partager des moments avec lui. Des moments « hors du temps » où on parlait de choses dont on n’avait pas l’habitude de parler. C’était un peu notre confident, et on parlait de poésie, on entrait dans un univers de culture, un univers de musique. Il ne cherchait jamais à nous apprendre quelque chose. Si on venait le voir, c’est vraiment par plaisir, et c’est ce qui fait que moi, comme Ariel (Dombasle, ndlr), et comme beaucoup d’acteurs, on continuait à aller le voir hors des tournages. C’est pour ça que ces genslà sont présents dans mon film. On ne peut pas dire que les acteurs, on se fréquentait, mais on peut dire que notre intérêt commun était Éric Rohmer. Chacun individuellement allait le voir. Éric aimait beaucoup les gens qui savent se mettre en scène tous seuls. Lorsqu’on regarde votre filmographie, on se rend compte que vous avez majoritairement tourné avec Éric Rohmer. Il le regrettait. Moi, je ne l’explique pas. Les gens vous cataloguent tout de suite. Moi, je m’en fiche, au contraire, je suis vraiment très honorée, parce que c’est peut-être ce que j’aurai fait de mieux. Cependant, j’ai tout le temps cherché ailleurs. Mais c’est difficile parce qu’on dit toujours, « c’est une rohmérienne ». Et ce n’est pas dû à la façon de travailler le texte, car Le Rayon vert est exactement l’antithèse de La Femme de l’aviateur. Il y a des gens qui partent du principe que c’est un film de Rohmer donc on va parler comme dans du Rohmer. C’est faux parce que je parlais comme je parle dans la vie. Dans la scène de la salade dans Le Rayon vert, je disais des choses excessives sur la salade. Je pars sur « la salade, la salade c’est une amie ». Il faut qu’il y ait parfois des choses un peu poussées, même si c’est de l’improvisation, car si c’est trop banal, ça n’intéresse personne. Rohmer était très vigilant, c’était de l’improvisation, mais très surveillée.
Comment avez-vous eu l’idée de faire un documentaire sur lui ?
En 2007 il avait fait des photos de presse pour l’Astrée. Il me montre les photos de l’AFP et me dit « t’as vu la tête que j’ai ? » et je dis « oui, bon je peux essayer de te faire ». Avec mon petit appareil numérique basique, je l’ai pris et l était très content de ces photos. C’est vrai qu’elles n’étaient pas mal du tout. Et c’est peut-être ça qui a donné l’idée que si je le filmais, ça allait au moins être pareil que les photos. Il y avait le sentiment de fixer quelque chose dans ma mémoire. Il y avait un sentiment d’urgence contre le temps. Pas du tout le sentiment d’être cinéaste. C’était plutôt un rapport qui ne s’est jamais dit. Je lui renvoyais l’image de lui que j’aime. Je ne suis pas techniquement très forte, je voulais seulement faire passer des choses merveilleuses. A chaque fois je lui présentais tout, il a suivi le montage. Il a été très content, il disait des choses comme « ce sera un témoignage ». Moi je me disais « quand même, il ne faut pas exagérer. » Peut-être qu’il le pensait vraiment. On fait ce qu’on peut avec une caméra DV quand on n’est pas technicien. L’idée d’échanger un peu d’amour, c’est ça qui m’a portée.
Propos recueillis par Viviane Saglier
Un deuil à la caféine
Bucarest, 1988. Nela est dans la chambre de son père. Les volets sont fermés. Le père est sur son lit de mort. Piqûres et nourriture. Elle fait tout pour le soigner. Un téléphone sonne. C’est le médecin. Nela dit qu’il va bien, qu’il est guéri et qu’il mange. Des images d’actualité au deuxième plan. C’est l’anniversaire de l’accession au pouvoir de Ceausescu. Le médecin l’invite au restaurant. Elle hurle. Son père est mort. Elle accuse le médecin de l’avoir tué. Dès la première séquence, le destin de Nela est lié à celui de cette Roumanie ambivalente, rebelle contre la condition de son pays qui est devenu un champ de contradictions et d’aberrances toutes plus infâmes les unes que les autres, à l’image du premier plan du film, un long ravelling qui rase la pelouse jonchée de détritus du jardin de Nela. Toutefois, malgré cette morosité ambiante, Nela lutte, et s’érige contre les injustices. Elle quitte Bucarest. Dans es provinces roumaines, la vie n’est pas moins absurde que celle qu’elle vient de quitter. Un parachutiste se pose au petit matin dans un champ de choux fleurs, et des chars donnent l’assaut alors qu’elle part pique-niquer avec le médecin Mitica qu’elle a rencontré dans l’hôpital qui l’accueillait pour attester de son viol (…). Pintilie décrit une génération violée ar une dictature. Nela se bat contre ce pouvoir avec l’aide de son ami Mittica, forte de ses convictions. Bien qu’elle apprenne finalement que sa mère ne corrobore pas l’explication de la mort glorieuse de son père, n’ayant pas mis son bras sur les rails pour protester contre le régime, mais pour échapper à la mobilisation. Peu importe, l’important est ce qui demeure, et ce qu’on peut et doit faire maintenant. Que ce père soit « Bon papa, papa tyran, papa trouillard, cher cher papa », il a surtout été « un grand patriote ». Après avoir enterré ses cendres contenues dans une boite Nescafé, Nela demande à Mitica de lui faire un enfant. Ce deuil, c’est sa force. Mitica souhaite soit « un idiot », soit un « surdoué ». « S’il est normal, je le tuerai de mes mains ». La Roumanie ne pourra enfanter de quelque chose d’ordinaire, à l’image de la Nouvelle vague du cinéma roumain des années 1990-2000, dont ce film est clairement un des manifestes les plus authentiques.
Natacha Seweryn
Julie Bertucelli, la baronne perchée
Comment en êtes-vous venues à faire du cinéma ?
Mon père est réalisateur, ça a beaucoup influencé ma vie. Je n’ai pas voulu faire d’école de cinéma. J’ai commencé sur le tas, et j’ai travaillé sur des films de Rithy Panh et Otar Iosselani. J’ai eu très envie de commencer par la réalisation de documentaire. J’ai eu le plaisir d’appendre à cadrer moi-même, de travailler beaucoup dans l’instinct. Maintenant je suis arrivée dans une période où j’ai plus envie, pas tant de parler de moi, mais de mettre des choses personnelles pour enrichir les histoires et non survoler les histoires des gens. En fiction, on peut aller plus loin dans l’intimité. J’ai quand même continué à faire du documentaire parce que j’adore ça.
Pourquoi avez-vous choisi le livre de Judy Pascoe ?
Je voulais adapter un livre qui m’avait marquée dans mon enfance, Le Baron perché d’Italo Calvino. Je trouvais que c’était une jolie idée que quelqu’un ne veuille plus descendre d’un arbre et résiste de cette manière-là. J’ai découvert qu’Italo Calvino, avant de mourir, avait décidé qu’aucun de ses livres ne serait adapté. L’idée d’un arbre m’était restée comme une petite obsession. Et puis une cousine m’a parlé du livre de Judy Pascoe, et là j’ai tout de suite vu qu’il y avait des thématiques qui m’intéressent, voir comment, quand il nous arrive un drame, on peut ne pas être victime, on peut arriver à transformer ces incidents graves de la vie pour devenir créatif. Développer son imaginaire. Le livre était du point de vue de la petite fille, mais j’ai senti vite que je ne voulais pas faire un film pour enfants, même si ce film plait beaucoup aux enfants. Je voulais parler de cette mère, qui est aussi une enfant, et ses enfants deviennent ses parents. J’aimais bien ces inversions.
Pourquoi l’Australie ?
Les droits du livre étaient achetés par une productrice australienne, mais elle n’avait pas de réalisateur. On a proposé une coproduction et par miracle elle a accepté. Et puis, le roman se passe en Australie. Ce n’était pas du tout un pays dont je rêvais, mais quand on est allés là-bas, on s’est tout de suite aperçus que c’était le pays idéal, parce que la nature est extraordinaire. L’histoire a tout son sens dans ce pays, d’autant plus avec son passé aborigène, et ça a encore plus avivé on imaginaire. Il faut du temps parce que quand on découvre un pays, on a tendance à faire des images cartes postales. Mais j’ai aussi écrit sans connaitre le pays pour pouvoir écrire l’histoire universellement. Il y a comme ça un décalage assez fort entre l’intimité des personnages et l’immensité du paysage qui fait une contradiction qui fabrique de l’émotion.
Comment s’est passée la préparation du film ?
Ça a mis cinq ans, c’est long à tenir, à convaincre tout le monde, à réécrire pendant deux ans le scénario, à retravailler le montage pendant des mois. Il ne faut pas se tromper d’histoire et d’idée. On a vu beaucoup d’arbres. C’était de l’ordre du casting parce que c’était le personnage principal du film. Il était ellement symbolique. On a acheté une maison et on l’a transportée près de l’arbre. Ça a été une grosse aventure, un gros budget. Le tournage a duré 9 semaines, 5 jours par semaine, c’est énorme. Et tourner dans un arbre c’est très difficile, mettre des échafaudages, il faut que tout le monde soit sécurisé, alors ça met des heures. Le montage son et le mixage sont très importants pour le film parce que beaucoup de choses passent par le son. On est toujours à la lisière du fantastique et en même temps ça peut très bien s’interpréter de manière très réaliste. Le film raconte aussi que quand on ne sait plus choisir, la nature peut décider pour nous et que de toutes façons on n’est tellement rien par rapport à elle que c’est elle qui a le dernier mot.
Comment avez-vous choisi Charlotte Gainsbourg ?
On a d’abord cherché des actrices australiennes. Je n’ai pas trouvé mon bonheur et puis étant exilée làbas, j’ai réalisé aussi que parler de l’exil et du deuil, c’était deux mouvements très proches, s’éloigner de ses racines comme de s’éloigner de ceux qu’on aime. Je trouvais que c’était plus fort que cette mère soit française pour se sentir plus seule dans ce pays, qu’il n’y ait pas toute une famille qui pourrait la soutenir. Ce qui est formidable avec Charlotte c’est qu’elle garde en elle toutes les strates, elle est toujours enfant, adolescente, mère, femme…cela lui donne cette fragilité et cette force. Elle oscille entre les deux très simplement, sur la pointe des pieds. C’est une actrice géniale qui prépare beaucoup, et qui arrive toute prête, toute formidable. Et avec les enfants elle a réussi à faire famille alors que c’est très dur, il y très peu de scènes de vie familiale. On a fait deux jours de photos de famille avant pour le décor alors ça leur a permis de jouer la famille avant.
Comment avez-vous trouvé Simone ?
On a vu beaucoup d’enfants et elle s’est révélée géniale. Il fallait faire plusieurs essais parce que c’est un rôle énorme. Il fallait qu’elle puisse tenir le coup, et ça ce n’est pas en une fois qu’on s’en rend compte. Elle a pris ça très au sérieux. Elle me disait qu’elle allait apprendre son texte dans un arbre dans le parc en face de chez elle. Elle a été géniale.
Propos recueillis par Viviane Saglier.
Le grand humour
Viviane Saglier
Le Grand Amour est un bon ambassadeur de l’oeuvre de Pierre Etaix. On y retrouve le jeune homme timide et affable, incarné par le réalisateur, aux prises avec un désir qui confine au devoir : trouver l’amour. Un amour réel confronté aux puissances de l’imaginaire, qui le rêvent toujours ailleurs. C’est de cette interpénétration constante entre rêve et réalité que naissent les gags les plus amusants et les plus attachants de Pierre Etaix. La fantaisie construit le quotidien à son image. Délice parmi tant d’autre : la cérémonie d’un mariage tourne à n véritable spectacle par la simple observation de l’individu dans la foule. Une femme éternue, un garde fait régulièrement claquer sa lance sur le pavé, un homme baille, un petit garçon se retourne et se fait réprimander par un père dont le sermon se transforme en sifflet ; l’orchestration de cet échantillon de comportements humains se fait concert. Les bruitages sont plus parlants que les mots, ils donnent le ton. Les paroles, elles, se battent avec les images dans un chassécroisé permanent. La voix du héros narrateur, Pierre, malmène l’image à tel point que les protagonistes impliqués se révoltent, les commères tordent les scènes dont elles ont été témoins à la convenance de leurs ragots, Pierre dit à sa femme les mots qu’il réserve à son fantasme. Les images jouent entre elles et c’est au spectateur de reconstruire les liens pour faire surgir un humour toujours subtil. Le film est construit comme un canon où un même fait se décline toujours en plusieurs versions par la force de l’imagination et du rire, et où chaque scène renvoie à une autre dans un ping-pong musical. Le Grand Amour est un grand livre d’images dans lequel chaque page conduit nécessairement à l’autre, dans un rapprochement dont la surprise n’a d’égale que l’évidence du rire.
Le making of de Taking off
Jean-Claude Carrière a été le scénariste de Milos Forman sur le film Taking Off. Il le présentera lors de la projection le samedi 3 juillet à 11h.
Comment avez-vous rencontré Milos Forman ?
Je l’ai rencontré en Italie, à l’époque dure du communisme, en 1966, pendant un festival à Sorrente. Il y avait une petite délégation tchèque avec Milos, et nous avons beaucoup sympathisé. Moi je faisais partie de la délégation française avec Marguerite Duras, Etaix et Julien Duvivier. Six mois plus tard, Milos est venu à Paris, et il m’a appelé. Je ne l’avais pas oublié bien sûr, ses films étaient déjà très connus, et on admirait énormément son travail. Et il est venu à la maison, il a couché là car il n’avait pas un sou, et le lendemain, je l’ai emmené aux studios où deux films que j’avais écrits étaient tournés en même temps. Sur un plateau il y avait Louis Malle qui tournait Le Voleur, sur l’autre plateau Buñuel qui tournait Belle de Jour. Quand j’ai dit à Buñuel que Milos Forman était là, dehors, il a fait une chose que Milos n’a jamais oubliée : il a arrêté le tournage, pour aller boire un coup et discuter. Pour Milos, c’était formidable.
Vous vous êtes donc ensuite revus ?
Oui, en mars 68, c’était toujours avec Buñuel, au Mexique, on travaillait sur La Voie Lactée dont on finissait le script. Tout d’un coup, Milos m’appelle et me dit : « Je suis à New York, pourquoi tu ne t’arrêtes pas au retour du Mexique ? » Alors j’ai pris l’avion, je me suis arrêté à New York, en fin mars 68, et là nous sommes tombés en plein dans la tribu hippie. On était à l’Hôtel Chelsea, Janis Joplin est devenue très vite une amie. On a commencé à travailler sur Taking Off, mais il avait son film Au feu les pompiers ! sélectionné au Festival de Cannes. Nous y sommes allés, et à Cannes, en mai 68 avec Truffaut, Godard, le festival a été arrêté. Bref, Milos est revenu chez moi, il est resté trois semaines couché, déprimé, ne comprenant absolument pas ce contre quoi les étudiants protestaient. Quand l’ordre est revenu à Paris, après les injonctions de de Gaulle, Milos m’a dit : « Ecoute, il est impossible de travailler ». Et il m’a dit : « Allons dans l’endroit le plus tranquille du monde, allons à Prague. » On est allés à Prague et les chars russes sont arrivés. C’était une année complètement folle. Nous étions chassés de pays en pays, et finalement à la fin de l’année, on s’est retrouvés à New York. Et là, on a loué une petite maison à trois, et c’est là, pendant l’hiver de 68 à 69, qu’on a vraiment commencé à travailler sur Taking Off. Ça a pris beaucoup de temps car le film n’a été tourné qu’en début 70. Et ça a pris beaucoup de temps pour trouver le peu d’argent, ça a coûté 500 000 dollars, c’était rien. On n’a jamais touché un dollar ni lui ni moi. Jamais. On s’est fait escroquer comme pas possible mais enfin bon. Le film au moins existe. Et c’est le seul film qui ait été tourné avec, et dans le milieu dit « hippie » des runaway kids, des enfants fugueurs.
Pourquoi est-ce le seul film tourné dans le milieu hippie ?
Parce que d’abord ça a duré très peu de temps, vous savez, Jimmy Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrison meurent tous les trois très vite. Je crois que Janis est morte en septembre 70, quinze jours après Jimmy Hendrix, et Jim Morrison six mois après. Ces trois là disparus, la guerre du Vietnam qui était la raison d’être des hippies s’arrêtant, la drogue faisant les ravages que l’on sait, ça a duré très peu de temps. Et ils ne pensaient pas à faire des films, seuls nous pouvions, nous extérieurs, étrangers, avec un regard presque d’anthropologue. Et nous parlons plus des parents, qui étaient plus proches de notre âge, que des enfants. C’était une époque assez cinglée, j’ai fait tout un livre là-dessus qui s’appelle Les Années d’utopie, où une jeunesse sentait profondément qu’on ne pouvait pas continuer dans cette même voie. Et qui croyait qu’il suffisait de faire un pas de côté, de fumer des joints et que tout aller changer tout seul. C’est-à-dire que la société capitaliste, mercantiliste, n’allait pas résister au farniente. C’était une idée tout à fait surprenante dans l’histoire du monde, et qui n’a pas marché. Elle ressurgit encore aujourd’hui, elle n’est pas morte cette idée.
Propos recueillis par Viviane Saglier