Mercredi 7 juillet

Une de l'éphémère N5

Changement sur la grille

Mercredi 7 : La séance The Wild Bull de 22h prévu au Dragon 1 sera remplacée par The Well.

Soirées exceptionnelles, événements

11h The Lodger présentation Carlotta Films et ADRC, ciné-concert Jacques Cambra

11h Le Celluloïd et le Marbre présentation Paul Virilio, urbaniste

14h30 La Classe ouvrière va au paradis présentation Tamasa et ADRC

17h30 Nathalie Granger présentation Baba Yaga Films et ADRC

20h Electra Glide in Blue présentation Mission et ADRC

22h Abattoir 5 présentation Splendor Films et ADRC

Edito

Il est de ces personnages jurassiques dont le tonnement du pas précède aux pavillons de nos oreilles le rugissement de la voix. On les retrouve certes dans les contes, aux abords des  illes, à l’orée de sombres bois, mais également en résidence dans les festivals de cinéma. Andrew Kötting est de ceux-là. Auteur de nombreux films et vidéos, Kötting est un  artiste martial et total, un ancien bûcheron qui n’aurait pas renié ses premiers amours punkoïdes, à l’aise aussi bien sur scène que sur pellicule ou papier. Lorsqu’il ne traverse pas la  Manche en quelques brasses, ce géant au coeur d’argile enjambe les différentes contrées de sa sale terre natale, sa fille Eden dans le creux de sa main. Il a cet été choisi refuge au  bien nommé Centre Intermondes, épaulé pour l’occasion de Gloria Lin et de Sebastian Edge, un jeune photographe hors du temps qui a su l’émouvoir. Véritable inventeur et alchimiste,  ce dernier s’est construit un appareil photographique dont il développe lui-même les clichés sur verre dans l’obscurité d’une camionette, le Darkvan, qui parcourera les rues de la ville  tout au long du Festival, à la recherche de spectateurs immobiles et de motifs uchroniques.
Léonard Pouy

S comme solidaire

OteroMariana Otero, accompagnée des protagonistes du film, a présenté hier soir son documentaire Entre nos mains. L’occasion pour nous de leur poser quelques questions et de revenir sur cette expérience commune.

Pourquoi s’intéresser à ce sujet ?

Mariana Otero : J’ai pris l’habitude de filmer des endroits où les gens essaient de faire du mieux avec les règles établies, et remettent en question ce qui est institué. Je me suis intéressée aux coopératives parce que c’est un endroit où les gens essaient de travailler ensemble.

Comment avez-vous choisi l’entreprise ?

M.O. : J’ai pris contact avec une coopérative et le réseau des SCOP de chaque région. J’ai demandé aux délégués de me prévenir dès qu’une entreprise formait une SCOP. On m’en a présenté deux avant celle-ci, mais ça ne me convenait pas car c’était trop petit ou trop grand, ou déjà mis en place. Quand je suis arrivée dans celle-ci, je me suis dit : « c’est là ». J’ai filmé dès le premier jour sans repérage.

Quelles ont été vos relations pendant le tournage ?

Les salariés : Mariana nous a mis à l’aise. Elle nous a un peu expliqué comment ça allait se passer.

M.O. : La relation a évolué. Au fur et à mesure du tournage, chacun évolue selon son caractère. Ils prennent plus de liberté et apprivoisent la caméra. Le film est à la fois l’histoire d’une
coopérative et l’histoire d’un tournage.

Les salariés : Ce qu’on faisait était tellement important qu’on était pris par le sujet. On avait d’autres soucis en tête que la caméra. Puis on s’y est fait, on l’a oubliée. La coopérative passait avant. Mais Mariana a fait partie du projet dès le début, c’était donc plus facile d’un point de vue de confiance. Elle était un peu une ouvrière comme nous, elle venait aux mêmes heures que nous, on mangeait ensemble, etc… Elle luttait avec nous.

C’est vous Mariana qui filmez, quelle importance y attachez-vous ?

M.O. : Je n’imagine pas ne pas filmer des gens qui travaillent, je ne vais pas rester debout à les regarder. Le rapport aux gens change s’ils s’adressent à un chef opérateur ou à moi. La
relation est différente, on travaille ensemble, c’est la vie quotidienne.

Quel a été le dispositif filmique ?

Les salariés : Comme il n’y avait pas d’interview, on ne pouvait pas imaginer ce qui allait se passer, on ne s’attendait pas à ce que notre histoire fasse un film.

Comment ça se passe pour vous au niveau du documentaire quand vous voyez que la coopérative ne fonctionne pas ?

M.O. : C’est pour ça qu’on a fini sur la comédie musicale, car on ne voulait pas que ça se termine sur une note négative. Il n’y avait pas d’échec du point de vue humain. Il fallait un message positif pour montrer que ça peut marcher quand même. Les salariés ont alors écrit les paroles de la chanson pour montrer que la plupart des personnes croyaient en la SCOP. Et c’est ce qu’il faut retenir du film. C’est sûr que je voulais que ça marche, tout a été fait dans cette optique. Quand la SCOP n’a pas fonctionné le film est devenu secondaire. Je m’étais dit dans un premier temps que si ça ne marchait pas ici, je filmerais ailleurs. Mais après ça, je n’en avais plus envie. Il fallait finir ce qu’on avait commencé, même si on ne savait pas ce qui allait faire le film.

Les salariés : ça aurait été dommage qu’il n’y ait pas de trace de cette expérience collective.

Propos recueillis par Mélissandre Béchu et Marion Lefeuvre

Miwa : Trésor vivant du cinéma japonais

MiwaPascal-Alex Vincent est le réalisateur de plusieurs courts métrages et d’un long métrage, Donne-moi la main. Il est également impliqué dans le cinéma japonais et dans sa diffusion en France.

Comment a commencé votre fascination pour le cinéma japonais ?

Quand je suis arrivé à Paris pour faire mes études de cinéma, étant charentais, je suis arrivé après les autres, et les seuls cours où il restait de la place étaient ceux de littérature et cinéma japonais. Cet accident a développé mon goût pour la culture japonaise. J’ai vu qu’une nouvelle société se spécialisait dans la distribution du cinéma japonais en France, j’ai donc envoyé mon CV. J’y ai été stagiaire un été, puis employé pendant douze ans. Votre travail dans cette société s’est arrêté, et vous vous êtes mis à réaliser vos films, ce qui au fond était votre désir le plus fort. J’ai tourné une poignée de courts métrages qui ont plutôt bien fonctionné. Cela m’a amené à abandonner mes activités de distribute sur, et à me consacrer à la réalisation de mon premier long métrage, Donne-moi la main, tourné en région Poitou-Charentes. Malgré tout, j’ai gardé mon amour pour le cinéma japonais, que je continue de  fréquenter assidument. J’avais depuis plus de dix ans l’envie de tourner un documentaire consacré à Miwa, car lorsque j’étais distributeur, nous avions en diffusion Le Lézard noir, un film dans lequel Miwa joue le rôle principal. Pendant dix ans, je suis resté très intrigué par le fait que le personnage féminin principal avait une voix très grave, et j’ai décidé de creuser. Vous êtes parti au Japon et vous avez rencontré Miwa.

Comment vous êtesvous débrouillé pour accéder à ce personnage mythique ?

Miwa est une très grande vedette au Japon depuis 50 ans à la télévision, dans la presse, au cinéma, et ça n’a jamais faibli. C’est encore quelqu’un d’actuel que toutes les générations connaissent. Elle était très méfiante du fait qu’un étranger veuille lui consacrer un documentaire, elle pensait qu’on ne connaitrait rien de son travail parce qu’il ne s’est quasiment jamais exporté. Elle pensait qu’on la filmerait comme une curiosité. L’autre enjeu du film est que Miwa est en fait née homme, ce qui rend l’histoire encore plus forte. Pendant six mois, Miwa a décliné très poliment, à la japonaise, jusqu’à ce que je décide de lui envoyer le dvd de Donne-moi la main. Elle a découvert les paysages charentais et les frères Carril (les acteurs ndlr) qui ont dû être à son goût car elle a accepté que je lui consacre un documentaire. Elle a demandé par ailleurs que ce soit le même chef-opérateur qui vienne l’éclairer à Tokyo. Son aspect politique m’a beaucoup intéressée… Son parcours est intéressant. Elle est née garçon, à Nagasaki. Après avoir vu le commerce de ses parents disparaître sous les bombes, elle est partie à Tokyo et a décidé de vivre en femme. Pas seulement dans le cadre d’un spectacle ou dans le théâtre Kabuki. Elle s’est construite dans la marge. Pendant cinquante ans, elle a été le seul homosexuel officiel du Japon, un statut difficile à porter, qui a permis de faire avancer les choses. Miwa a de même beaucoup fait bouger le Japon
dans son combat contre le nucléaire. Elle est vraiment militante, même si elle vit plutôt comme une princesse, dans un château tout en dorures et en moquette rose Barbie. Miwa a été impliquée dans tous les courants de gauche marginaux artistiques, mais aujourd’hui vit comme la reine d’Autriche, un peu déconnectée, ce qui fait aussi tout le côté cinématographique du personnage.

Propos recueillis par Prune Engler

En Kötting dans le texte

Petite interview intermonde, capturée comme il se doit vers 17h autour d’une tasse de thé et d’un rice pudding…

L. P. : Depuis quelques années tu es un peu devenu la mascotte du Festival…

A. K. : Oui ! Un singe ! Un chimpanzé !

L. P. : Un gorille en résidence au Festival… Peux-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?

A. K. : Prune m’avait proposé d’être le premier artiste en résidence mais malheureusement, ou heureusement, je tournais à l’époque In the Wake of a Deadad. Elle me l’a ensuite reproposé alors que je terminai mon dernier long métrage ( Ivul ) et je voulais justement rester un peu tranquille après le tournage et cherchais un boulot en résidence, pour moi c’était donc nickel de venir à La Rochelle et de travailler ensuite avec le quartier de Mireuil.

L. P. : Et pour la première fois on te verra avec des photos et non plus seulement des vidéos…

A. K. : C’est pas vrai ! Je vais proposer une vidéo, un documentaire sur le processus de fabrication des photos que mon collaborateur Sebastian Edge va faire pendant le festival et donc c’est un mélange des deux. On propose des photographies pour l’exposition et l’année prochaine je présenterai un film de 5-10 minutes de cette expérience avec des collages, du son et des images que j’attrape sur mon enregistreur. Ce sont deux projets que je fais en même temps.

L. P. : Une caractéristique de ton travail de vidéaste est qu’il semble concerner en réalité d’autres pratiques artistiques, comme des performances, certains de tes voyages ou du Land Art. Quels rapports entretiens-tu avec ce médium-oeuvre ?

A. K. : La vidéo, comme le film, comme le texte, comme la littérature ou les Beaux-arts sont pour moi des médiums. Mais tout est possible avec ces médiums, et les connexions entre mes projets sont toujours autobiographiques. La vidéo que je montre ici est un document Super 8 que ma femme a fait d’une performance que j’ai faite dans un paysage. C’est une blague un peu sur les géants du Land Art comme Hamish Fulton, Richard Long, tous de grandes inspirations quand j’étais jeune. Mais en tant qu’artiste et en tant que punk, j’ai fait cette performance dans des clubs, sur de grandes scènes ou je criais. Si je reste curieux sur la vidéo, le corps de tous mes projets reflètent certains aspects de ma vie, avec ma fille Eden, ma grand-mère, des choses qui me touchent beaucoup. Cela peut être de la fiction, du documentaire ou entre les deux, il y a beaucoup d’éléments narratifs impliqués mais ce n’est pas une narration conventionnelle. Je suis un maker, c’est un mélange, tout est possible, il n’y a pas de frontières.

L. P. : Pourquoi n’as-tu donc pas pris ces photos toi-même ?

A. K. : Je prends des photos moi-même ! Je le peux ! Mais en ce moment je travaille avec un autre collaborateur, un écrivain et deux de mes élèves de l’école des Beaux-arts. Sebastian a fabriqué un appareil photo qui m’a bouleversé, car c’est un paradoxe. Dans ce monde numérique, un jeune homme comme lui s’intéresse à l’alchimie, à un processus spécial. C’est une opportunité, je lui ai proposé de venir avec sa camionnette pour développer ces photos. Je voulais qu’il existe un corps de travail pour que les gens puissent voir ce travail très différent. J’aime beaucoup la physicalité de ce processus. Corporel, c’est aussi une question d’endurance, on est crevé à la fin de la journée avec ce truc sur les bras, j’en porte des cicatrices sur mes jambes. C’est un processus intellectuel mais également marqué dans la chair… C’est peut-être un peu calviniste… Chez les anglo-saxons, à la fin du jour tu dois être fatigué. Ca doit rester du travail…

Propos recueillis par Léonard Pouy

Entre parenthèses

(Posthume) est une oeuvre belle et forte. Sa beauté est à la fois simple et construite, comme sculptée sur la matière brute du réel, la pierre, le béton broyé, les fils et les débris  ramassés à la pelleteuse. De là, un exercice de saisie du « vivre au sud-Liban » après la dernière guerre entre le Hezbollah et Israël, avec des visages, dos ou face à la mer  Méditerranée, ultime et silencieuse contemplatrice des déchirements humains. Mélange d’images d’archives télévisuelles, de sons enregistrés sur les journaux d’actualités de l’époque, les voix se superposent dans un brouhaha qui pousse au malaise, devant les faits tels qu’ils sont, posés violemment face aux conséquences visibles et matérielles de la bêtise guerrière. La caméra de Ghassan Salhab remplace intuitivement les yeux du marcheur étranger ou de l’habitant, et par de longs travellings sur une route, arpente la ville, fantôme  d’elle-même, à l’état de ruine et de reconstructions permanentes. Plus qu’un morceau politique et contestataire, le film en moins d’une demi-heure retranscrit le sentiment de fatalité, de  lancinante douleur, et au fond, de tristesse que ressent un observateur particulier, l’artiste Ghassan Salhab. Dans le déroulement, s’éveille aussi la nostalgie d’un peuple courageux épris de regarder vers l’avenir mais bloqué dans un présent qui porte les stigmates de son passé. Beauté de l’image donc et du texte poétique et philosophique, et force de l’architecture ; sous influence godardienne, le montage entrechoque des plans courts aux sons bruyants et ces longs plans sur la ville, les bruits du quotidien jaillissent ou résonnent dans des inserts et des coupes dialoguées. Ghassan Salhab prend en main, avec une énergie de la mélancolie, l’application subversive du cinéma, et réalise un essai brillant.

Mickaël Robert-Gonçalves.

Lucian Pintilie : cinéaste des corps

Lucian Pintilie

Pour Lucian Pintilie, c’est vainement que l’homme se veut un être pensant. Si un de ses personnages cite Sartre, c’est pour conclure immédiatement après qu’il « n’est qu’un con ». Pour  lui, l’homme est d’abord un corps. Un corps dans tout ce qu’il peut avoir de crasseux, de répugnant. Un corps nauséabond, laid, sale, difforme. Les cheveux longs et sales d’un violoncelliste dans le métro, sur lequel débute le film, la chair flasque des mineurs dans les douches collectives, ou le graillon immonde qui leur est servi à midi : Trop tard respire le corporel, la physicalité la plus basse, la plus odieuse. L’image idéalisée et confiante en l’homme que véhiculait avec tant de soin le régime communiste, Lucian Pintilie la piétine consciencieusement, méthodiquement à travers le portrait dévastateur d’une communauté de mineurs où tout idéalisme a disparu. Pas d’espoir de salut pour ces mineurs ; la misère les enferme en même temps qu’elle les réduit à l’état de bêtes sauvages. Même le procureur Costa, qui arrive dans la mine pour enquêter sur une série d’incidents, devient à son tour le bourreau de cette communauté alors qu’il aurait pu constituer un rempart, si fragile qu’il soit, contre une hiérarchie tyrannique. On sortirait de ce film désespéré si l’humour caustique et burlesque de Lucian Pintilie ne nous surprenait sans cesse et ne parvenait à donner une légèreté au film : un quatuor à cordes qui joue du Schubert sur une plate forme minière, des chèvres qui se nourrissent sur le camouflage de tireurs embusqués ou la bêtise des patrons qui passent leur temps à se prélasser dans des cuves d’eau chaude en buvant de la vodka ; autant d’éléments qui font de ce brûlot contre une société vouée à la ruine un film drôle, jouissif autant qu’il est noir dans son sujet et dans son propos. Un film qui prouve une fois de plus que Lucian Pintilie, sous les dehors de trublion nihiliste qu’on lui connait, est un amoureux de la poésie et un humaniste convaincu.

Manon Pietrzak

La fièvre dans le sang

La fièvre dans le sang

Contre toute attente ou presque, La Fièvre dans le sang est une oeuvre indémodable au sein de laquelle on n’a de cesse de « se retrouver », peu importe le contexte géographique, temporel et social. Elia Kazan met en scène les troubles moraux, psychologiques, sentimentaux et sexuels de deux adolescents passionnés (Deanie et Bud) au coeur de l’Amérique puritaine et capitaliste de 1928. Ainsi, le bilan d’une existence se dessine au travers d’une analyse vraie mais parfois inquiétante de leur société. Si on ne peut que réaliser la flagrante évolution de certaines moeurs, on est aussi forcé de constater combien cette fiction hollywoodienne est ancrée dans l’actualité de notre époque, en particulier financière… Mais c’est surtout et avant tout l’histoire captivante d’un amour sous toutes ses formes… tantôt pur, idéalisé ou fougueux, puis contrarié et fatal. Les prestations de Natalie Wood et Warren Beatty sont simplement épatantes et bouleversantes, même dans le surjeu. On ne suit plus seulement le parcours des jeunes héros, on les incarne vraiment et on se laisse facilement porter par la justesse du scénario. Les différents cadrages mettent merveilleusement en valeur la détresse grandissante du personnage de Natalie Wood et laissent transparaitre à l’évidence l’intelligence artistique de Kazan. En effet, tout ici est dans la suggestion et la délicatesse, laissant libre cours à l’imagination du spectateur. L’aspect pudique du film (très certainement vrai pour notre siècle, peut-être moins à sa sortie en 1961) participe de loin à son charme et à son romantisme. Romantisme qui est par ailleurs sublimé à la lecture du texte de Woodworth qui fait écho au titre original du film : Splendor in The Grass. C’est le court poème philosophique d’une destinée, retranscrit à l’écran avec une subtilité déroutante. Un drame émouvant qui ne se conseille pas mais se recommande ; un classique qu’il serait dommage de manquer. On en ressort grandi, tous âges confondus, avec pour seule pensée « il faut prendre la vie comme elle vient ».

Agathe Craissac