Changement sur la grille
Aucun changement.
Soirées exceptionnelles, événements
11h Mumbai, la cour des peintres présentation Louise de Champfleury et Dominique Dindinaud, réalisatrices
14h30 La Campagne de Cicéron présentation Christophe Gauthier, conservateur de La Cinémathèque de Toulouse
16h Le Mystère Egoyan présentation N.T. Binh, coréalisateur / Médiathèque Michel Crépeau
16h15 Rencontre autour du nouveau cinéma indien avec Umesh Vinayak Kulkarni, réalisateur, Suman Mukhopadhyay, réalisateur, Anjali Menon, réalisatrice, Girish Kulkarni, acteur et scénariste, Louise de Champfleury et Dominique Dindinaud, réalisatrices, et Barbara Lorey (modératrice) / Théâtre Verdière La Coursive
17h30 Ce n’est qu’un début présentation Jean-Pierre Pozzi et Pierre Barougier, réalisateurs, et Pascaline Dogliani, institutrice, projection suivie d’un débat
17h30 Vernissage exposition d’affiches indiennes / L’Astrolabe
19h30 Soirée Bollywood Jodhaa Akbar, avec entracte et dégustations… / Grande salle La Coursive
22h Four Chapters présentation Suman Mukhopadhyay, réalisateur
Edito
Viviane Saglier
L’Inde est à l’honneur cette année. Mosaïque de régions et de langues, ce pays souffre souvent d’une vision très stéréotypée de son art et de son cinéma, souvent réduite à la machine bollywoodienne. Le festival ne manque pas d’honorer cet amour du spectacle coloré et de la romance épicée, avec la fresque magistrale d’Ashutosh Gowariker, Jodhaa Akbar. Sur fond d’Inde islamisée, éléphants et chameaux se multiplient au rythme lascif des danseuses. À cette magnificence répond la simplicité du Nouveau Cinéma Indien. Celui-ci s’attache à retrouver la spécificité de chaque région, non plus dans une Inde fantasmée des contes des Mille et Une Nuits, mais bien plus dans une recherche de réalisme et d’implication politique. Cependant, que l’on se concentre sur les princes ou les paysans, l’Inde s’offre toujours avec une grande tendresse pour ses personnages, une certaine théâtralité des rapports, et cette opulence de couleurs.
Terre promise, terre due
Viviane Saglier
Jean-Michel Frodon a rencontré hier Ghassan Salhab pour évoquer avec lui le rapport qu’il entretient avec le Liban et la ville de Beyrouth, constitutif de son cinéma. Ghassan Salhab est comme une Terra incognita. Il appartient à cette grande diaspora libanaise installée au Sénégal. Adolescent, il quitte Dakar, son territoire d’enfance, « son lieu », et suit ses parents à Beyrouth, dont il n’apprécie pas le premier contact. Il ne maîtrise pas encore bien la langue arabe, et développe depuis cet exil une conscience de son rapport étranger à tous les lieux. Le cinéma sera bientôt sa terre d’accueil, où plutôt celle où cette conscience de l’étranger peut s’exprimer. Son premier émoi a lieu dans une petite salle de Dakar, où il accompagne son père voir Lawrence d’Arabie de David Lean. Fasciné par le très long plan dans lequel Omar Sharif fixe Peter O’Toole avant de lui tirer dessus, il connait ici sa première émotion consciente. Mais c’est à Beyrouth qu’il développe vraiment sa culture cinéphilique, en fréquentant les ciné-clubs dans lesquels il découvre les films de Godard, Murnau, Lang, approche qu’il approfondira lors de son séjour à Paris.
Ghassan Salhab est impliqué malgré lui. La guerre, omniprésente au Liban, a fondé son oeuvre. La guerre permet de prendre du recul, le cinéma est un territoire où la distance prend du sens. Ghassan développe à son contact un rapport étroit avec la mort immédiate, et une conception de l’autre comme ennemi, dont il se lasse vite. De même que la guerre, subliminale, Beyrouth est partout dans son oeuvre, elle exalte le sentiment d’inquiétante étrangeté. Il tourne ses premiers petits films dans les années 80, alors que les rues de la ville sont régulièrement bombardées. Les pellicules disparaissent lors d’une attaque de son immeuble. Pour s’approprier la cité, Ghassan a successivement habité tous les quartiers. L’attachement est venu avec l’acharnement. La ville est changeante, elle est un « visage qui n’en finit pas de se défaire », chaque fois différente, mais toujours reconnaissable, on n’y « revient » pas, on y « vient encore ». Bouillonnante, elle est prise dans une fuite en avant permanente, mais retombe toujours sous les coups incessants de la guerre, pour inexorablement se relever. C’est un monde saturé de chansons, de voix, de strates de mots. Le dialogue ne suffit pas, le cinéma cherche à toucher un ailleurs, une « matière invisible ». Une matière fragmentée comme la ville. Le cinéma se fait témoignage. Mais « Qui est le témoin du témoin ? »A la recherche des films perdus
A la recherche des films perdus
Christophe Gauthier est conservateur à la Cinémathèque de Toulouse. Il a présenté hier la copie restaurée du Tombeau des amants de Paul Sloane et présentera aujourd’hui celle de La Campagne de Cicéron à 14h30 en Salle bleue.
Comment avez-vous choisi de restaurer La Campagne de Cicéron ?
La raison principale était de montrer à nouveau ce film, assez récent puisqu’il date de 1989, mais qui avait disparu des dépôts aussi bien français qu’étrangers. Cette restauration part donc d’un manque qu’on a cherché à combler, dans une logique tout à fait différente de celle qui a présidé à la restauration du Tombeau des amants. C’était une logique régionale, car le film a été produit par la région Midi-Pyrénées, mais aussi nationale, car il appartient au patrimoine français. Le film a été défendu aussi bien par Eric Rohmer que, plus tard, par Pascale Ferrand.
Pourquoi les copies avaient-elles disparu et comment les avez-vous retrouvées ?
Peu de temps après la sortie du film, sa société de distribution comme sa société de production ont fait un dépôt de bilan, et Jacques Davila, le réalisateur, est décédé deux ans après. Les ayant-droits ont alors perdu toute trace du film. Notre quête a duré trois ans, pendant lesquels on a cherché le matériel de tirage, les négatifs, à partir des laboratoires dont était issue la pellicule. De même, acquérir les droits était nécessaire pour entreprendre la restauration. Nous avons retrouvé les négatifs originaux et avons pu commencer ce travail grâce au soutien de la Fondation Groupama Gan pour le cinéma.
Comment avez-vous restauré la copie ?
C’est une vraie restauration car le négatif originel avait été abîmé par de mauvaises manipulations. Le film avait été tourné en Super 16, ce qui était très fréquent à l’époque, mais le son avait été gonflé en 35mm lors de l’exploitation. Nous avons dû procéder à une restauration numérique avec un tirage en 35mm après une restauration de la pellicule initiale en Super 16. Le film ressort en dvd chez Carlotta.
Comment cela s’est-il passé pour Le Tombeau des amants ?
C’était différent car on n’avait pas connaissance de cette copie au départ. La Cinémathèque de Toulouse a une grande collection de films nitrates qu’on visite régulièrement à la recherche de pellicules à restaurer. On a choisi ce film car il était original. Il est très proche d’un autre film de Paul Sloane, Le Tigre vert, qui a été montré au festival de La Rochelle. C’est avec la même actrice, Leatrice Joy, qui est formidable. Le film oscille entre La Momie et Indiana Jones, c’est du cinéma de distraction des années 20. Paul Sloane travaillait pour Cecil B. DeMille et faisait des séries B dans sa société de production. Ce film est un objet hybride, qui se passe à la fois dans les années 20, et relève aussi du péplum, avec une scène ancrée dans l’Egypte ancienne.
Quel était l’état de la copie ?
La copie était très rare car elle présentait des teintages particuliers, des teintagesvirages qui donnent une impression de bichromie et qui sont très rarement conservés aujourd’hui. La restauration s’est effectuée avec les Archives Françaises du Film du CNC. Cette copie est quasiment unique, il en existait une autre, en 16mm, conservée aux Etats-Unis, mais aussi incomplète. La copie de la Cinémathèque a des cartons français, elle était destinée à l’exportation. Son montage est peut-être un peu différent de celle américaine. C’est ici un cas beaucoup plus classique de restauration. Cette copie fait partie du noyau des collections de la Cinémathèque de Toulouse, constituée par des films américains distribués en France, et qui ont moins souffert de l’arrivée du parlant qu’aux Etats-Unis.
Propos recueillis par Viviane Saglier
Par amour du court
Umesh Kulkarni présente quatre films au Festival: The Wild Bull, Dissolution, The Spell, et The Well.
Comment avez-vous commencé le cinéma ?
Je participais à un atelier de théâtre à l’université de Pune où j’étudiais le commerce et le droit, et j’ai eu la chance de rencontrer des réalisateurs, dont je suis devenu l’assistant. Je me suis petit à petit rendu compte que le cinéma était un vrai défi. J’étais intéressé par la peinture, la sculpture, l’architecture, le théâtre, la danse, les couleurs, et le cinéma était en fait une réunion de toutes ces choses. Après avoir obtenu mon diplôme, je me suis inscrit à l’Institut du Film et de la Télévision de Pune. Je me suis rendu compte progressivement que ce qui était vraiment personnel et ancré dans une culture propre avait aussi la possibilité d’être universel. Cela m’a appris à regarder comment je regardais la vie.
Pourquoi avez-vous pris une voie nouvelle du cinéma, détachée du Bollywood ?
Après l’Institut, mes amis de Pune et moi-même voulions faire des films sincères, qui reflétaient tout ce en quoi nous croyions, pas des films de Bollywood. Nous voulions faire un film en maharati, dans notre région du Maharastra. Nous avons donc produit le film nous-mêmes, avec l’aide de nombreux amis et de nos familles. Nous avons connu un certain succès au Maharastra, mais aussi dans le monde entier. Déjà, alors que j’étais à l’Institut du Film, mes travaux avaient été présentés dans des festivals internationaux. Cela m’a confirmé que le message que nous voulions partager était compris, non seulement en Inde, mais aussi en dehors.
Vous avez fait deux longs métrages, mais vous revenez toujours au format du court. Comment l’expliquez-vous ?
Le court métrage est mon premier amour. On peut expérimenter des choses merveilleuses dans ce format. Je ne crois pas que le court métrage soit une étape vers le long. Il a sa beauté propre, c’est une forme en soit. Certaines choses ne peuvent être exprimées dans des longs métrages. C’est ainsi qu’après chaque long métrage, je me sens obligé de faire un court.
Vous explorez le thème du passage et de la dissolution, dans le film du même nom, mais aussi dans toute votre oeuvre.
Toute la ville de Pune, dans laquelle j’ai grandi, est en train de changer énormément et perd son identité. Je représente la jeune génération qui est responsable de ce changement, mais qui en même temps s’insurge contre ce changement, l’inévitabilité de ce changement. Cela pourrait être n’importequelle ville, avec ses valeurs que nous avons héries. Tout est en train de s’uniformiser. Et l’identité des villes disparait. C’est le thème de Dissolution, qui est aussi un film sur la disparition de ma grand-mère. Mais ce thème du passage est aussi présent dans mes autres films. Nous sommes dans une période de transition, et la façon dont nous regardons cette phase est une pierre d’achoppement de mon travail. Je veux observer l’effet de ce changement sur mon esprit. Mais je ne fais pas de films avec une idée préconçue de ce que je vais y mettre, parce que le film est une manière de se découvrir soi-même.
Propos recueillis par Viviane Saglier
L’Inde fait l’affiche
Louise de Champfleury et Dominique Dindinaud ont réalisé le documentaire Mumbai, la Cour des peintres.
Comment avez-vous été amenées à travailler ensemble ?
Dominique : On se connait par ailleurs. Louise monte, entre autres, les films de mon mari, Franck Landron.
Louise : Et Dominique est ingénieure du son. Dans le documentaire, c’est vraiment bien d’être deux. Dans la fiction c’est différent, on doit faire des choix. Mais là, ça permet de doubler le regard.
Pourquoi vous êtes-vous intéressées à l’Inde en premier lieu ?
Louise : Il y a une anecdote, c’est Zoé qui nous a poussées à faire ça. Vas-y, raconte.
Dominique : Ma fille était passionnée par les films indiens. Je l’ai accompagnée à un festival de films indiens au Grand Rex. Moi je n’avais jamais rien vu et là, je suis tombée dans une espèce de bain d’hystériques qui chantaient les chansons à tue-tête pendant le film, qui hurlaient dès qu’elles voyaient des stars et je me suis dit : « C ’est quoi ce truc incroyable ? » De là, on a fait ce premier film, Les Crazys de Bollywood. Quand on a commencé à s’intéresser à Bollywood il y avait le « Lille 2000, Bons Baisers de Lille ». Des peintres affichistes peignaient des commerçants. Ils les mettaient en scène sur des grands posters affichés partout dans la ville. On a donc rencontré ces peintres, et on les a suivis après en Inde sur le dernier documentaire, Mumbai, la cour des peintres.
L’Inde est le fil rouge de votre oeuvre actuelle.
Louise : L’Inde est venue à nous. On a rencontré des gens tellement passionnés, tellement charmants, tellement drôles, on les a suivis jusqu’à Madras. Ceci dit, on est prêtes à aller ailleurs. L’Inde n’est pas une obsession, c’est un chemin qui s’est fait petit à petit. On a eu envie de retrouver les peintres dans leur univers, et en attendant, ils ont perdu leur travail. C’est touchant car ce sont des gens qui ont un vrai métier, magnifique, et un savoir-faire, et on savait que ce métier disparaissait. Alors on s’est dit qu’on allait les filmer encore une fois dans leurs dernières créations. Ce sont surtout des rencontres avec des personnes.
Comment s’est passé le tournage en Inde ?
Dominique : Très bien. On serait bien restées plus longtemps.
Louise : Le film avait été pré-acheté par CINé CINéMA, ce qui nous a permis de le financer un peu. Et puis le mari de Dominique nous a prêté du matériel de bonne qualité. C’était un peu dur d’organiser ça de Paris. On a atterri dans la cour d’un immeuble, d’où le titre du film, et dans cette cour, le seul décor du film, il y avait un abri, et ils se sont installés dessous, parce que ces gens n’ont plus d’atelier depuis que leur métier a disparu. Le mètre carré à Mumbai est faramineux. Ils ont dû fermer leurs ateliers et ne pouvaient alors plus faire ces immenses affiches. Cette cour était magnifique parce qu’il y avait toute l’ambiance de l’immeuble. Les gens ont oublié la caméra très vite, ils ont fait ce qu’ils avaient à faire. On ne sortait pas beaucoup de cette cour et c’était Mumbai qui venait à nous.
Comment survivent les affichistes ?
Louise : Ils travaillent en résidences d’artistes. Il y en a très peu qui réussissent. Les autres vont devenir peintres en bâtiment, ou vont travailler pour les temples. Ils représentent des divinités, et finalement, il faut savoir que les stars indiennes sont des dieux là-bas, donc ça peut se rejoindre. Les affichistes eux-mêmes sont très respectés en Inde. Des gens leur touchaient les pieds. Le cinéma est très important pour les indiens et la représentation dans la rue de ce cinéma aussi.
Propos recueillis par Viviane Saglier
Les dessus du salon Indien
Pour la première fois, Georges-Emmanuel Morali expose à La Coursive sa collection d’affiches indiennes, qui sera accompagnée d’extraits de films.
Comment vous est venue cette passion pour l’Inde ?
Ça fait plus de quinze ans que je vais en Inde. C’est une histoire romanesque. J’étais attiré par le sacré et la magie de ce pays. J’ai travaillé là-bas, où j’ai un atelier de papeterie et de coton. J’ai alors commencé un travail en rapport avec le cinéma, avec un film dont j’ai acquis les droits voilà quatre ans ( An Evening in Paris, 1966 ). C’est un ilm de romance, c’est toujours kitsch en Inde. C’est un pays qui a une grande richesse dans sa manière de penser le cinéma. Au fur et à mesure, dans le travail de recherche de ce film, j’ai découvert tout l’univers des affiches designées dans les années 1950 à 1970, dans tous les Etats de l’Inde. J’ai beaucoup voyagé, les cinémas sont très différents selon les langues, il y a plusieurs langues officielles en Inde.
Comment les avez-vous trouvées ?
Je suis allé dans les archives, où les affiches sont complètement pourries. Elles ne sont pas du tout conservées en Inde. Il y a vraiment un travail incroyable à faire. Maintenant, ils ont une réflexion parce que le cinéma est devenu du business, mais ils en ont malgré tout perdues énormément. Comment avez-vous eu l’idée de faire retravailler ces affiches ? J’ai rencontré une femme super qui s’appelle Promina et qui habite Delhi. C’est une collectionneuse d’affiches qui tient une boutique d’Antiquités avec son mari. Elle est atteinte de poliomyélite et il lui est difficile de bouger les doigts, mais elle effectue très bien ce travail très minutieux. C’est unetradition en Inde de redécorer les affiches de cinéma, ça a un côté sacré. Ils mettent des glitters, des diamants. Nous avons fait ce travail ensemble, on y a réfléchi, puis on est allés dans les marchés acheter tout le matériel. C’est un travail très long. Ça peut prendre plusieurs journées.
Propos recueillis par Viviane Saglier Salon Indien (La Coursive-premier étage), de 10h à 18h. Le Thé des écrivains propose une dégustation, tous les jours à 10h30 et 17h. Entrée libre.
J’accuse – Rencontre Elia Kazan
Viviane Saglier
Michel Ciment, N. T. Binh et Rui Nogueira se sont réunis hier pour parler d’Elia Kazan, de leur relation avec le cinéaste qu’ils ont connu chacun à leur manière, et de l’épisode de sa vie auquel on le réduit trop souvent. Michel Ciment a rencontré Elia Kazan en 1966 alors qu’il venait d’intégrer Positif, revue de tradition progressiste, mais qui défendait malgré tout le cinéma américain profondément capitaliste. Trois ans plus tard, le cinéaste acceptait sa proposition de faire un livre d’entretiens qui devait devenir la référence sur cette oeuvre controversée. N. T. Binh, qui a partagé un repas avec Kazan, et Rui Nogueira, qui l’a rencontré par le truchement de la Cinémathèque Française, s’accordent sur la grande humanité de ce personnage toujours ouvert et attentionné, bien loin des tableaux noirs dressés par ses détracteurs les plus bornés.
Stigmatisé par son témoignage à la Commission des activités anti-américaines, Kazan fut accusé de traîtrise. Michel Ciment nuance ce jugement trop hâtif. Les noms listés par Kazan étaient déjà connus du FBI. Bien plus qu’une trahison, qui implique l’appartenance au groupe remis en cause, Michel Ciment préfère le terme « délation », pour cet homme exclu depuis longtemps du Parti Communiste dont il avait dénoncé les pratiques. Ce fut son horreur pour la grande délation qui sévissait en URSS souvent au sein même des familles, et pour le goulag qui condamnait à mort toutes les personnes listées, qui le conduisit à vouloir nuire dans la mesure du possible à une organisation jugée criminelle qui venait d’accepter le Pacte germano-soviétique. On justifiait la délation pour construire le communisme tandis qu’on l’honnissait pour défendre la démocratie bourgeoise. Si Kazan ne s’enorgueillit pas de cette action, il ne dénia pas les faits, et ce sentiment ambivalent nourrit son travail, sinon le fonda. Il devint la « mauvaise conscience créatrice du cinéma américain » *, avec une oeuvre qui ne se construisit pas malgré la délation, mais avec elle. Privilégiant les personnages torturés, il contribua à la découverte des grands acteurs américains de l’époque, Marlon Brando comme James Dean. Il les dirigea avec brio, ce qui lui valut la réputation du plus grand directeur d’acteurs aussi bien au cinéma qu’au théâtre, réputation défendue par Stanley Kubrick lui-même. Il révolutionna le cinéma américain avec Sur les quais et son oeuvre ne cessa de s’enrichir pour culminer avec America America, qui, peu défendu par la critique de l’époque, était à la fois pour lui son film le plus personnel et le plus abouti.