Lundi 5 juillet

Une de l'éphémère N3

Changement sur la grille

Aucun changement.

Soirées exceptionnelles, événements

10h Rencontre autour d’Elia Kazan avec Michel Ciment, N.T. Binh et Rui Nogueira / Théâtre Verdière La Coursive

10h45 Michel Ciment signe ses livres « Une Odysée américaine par Elia Kazan » et « Kazan Losey » / Librairie du Festival

10h30 L’Ours et le Magicien animation Valentin Rebondy, distributeur

11h La Femme divine atelier ciné-concert

11h Terra Incognita présentation par Ghassan Salhab

14h30 Le Tombeau des amants présentation Christophe Gauthier, conservateur de La Cinémathèque de Toulouse, ciné-concert Jacques Cambra

14h30 The Well présentation Umesh Vinayak Kulkarni, réalisateur, et Girish Kulkarni, scénariste

16h15 Rencontre avec Ghassan Salhab et Jean-Michel Frodon (modérateur) / Théâtre Verdière La Coursive

20h Dissolution présentation Umesh Vinayak Kulkarni, réalisateur, et The Damned Rain présentation Girish Kulkarni, acteur principal

20h15 Soirée CCAS / CMCAS Entre nos mains présentation Mariana Otero, réalisatrice, et l’équipe du film / Grande salle La Coursive

Edito

Viviane Saglier

Le cinéma ne s’est jamais vraiment imaginé silencieux. Le cinéma muet a toujours été accompagné par un musicien en salle. Quant au cinéma moderne, s’il semble vouloir revenir à une  dureté de l’image dépourvue de musique, il s’investit en fait dans de nouvelles recherches sur le son, et travaille la musicalité de l’image. Le ciné-concert revient aux fondements du rapport entre le cinéma et la musique, avec un double spectacle et une double scène. Deux pôles pour un même centre, un dans la lumière, un dans l’ombre, l’un silencieux, l’autre sonore. Les musiciens jouent leur propre rôle et leurs silhouettes projettent des ombres sur l’écran. Le son s’incarne quand l’image reste imprimée comme une partition. Où est le vrai spectacle si ce n’est dans cette confusion des plans et des plages auditives ? Le ciné-concert comme un montage grandeur-nature de la magie du cinéma.

Les visiteurs : une oeuvre atypique

Les visiteurs

Les Visiteurs tranche dans l’oeuvre d’Elia Kazan. Quasiment autoproduit, tourné en super 16mm dans sa maison de campagne avec quatre acteurs principaux amateurs sur un scénario  écrit par son propre fils, Kazan est ici bien loin des studios hollywoodiens et des majors avec lesquels il a connu ses plus grands succès. Il en ressort un film très intimiste et  qui renvoie indirectement, à travers le prisme de la guerre du Vietnam, à un moment clef de la vie du cinéaste : la délation de ses anciens camarades du parti communistes américains pendant le maccarthysme. Les Visiteurs met en scène un couple, Bill et Martha et leur enfant Hal, logés chez Harry, le père de Martha. Un matin d’hiver, deux anciens compagnons de  guerre de Bill refont surface, après plusieurs années de prison suite à un procès dans lequel Bill fut témoin à charge. Cette visite, présentée au départ comme fortuite par les deux  arrivants, se révèle être un règlement de comptes.

Le film soulève à travers ses dialogues toute une série de questions relatives à la guerre et à la délation sans tenter d’y apporter de  réponses définitives. En révélant peu à peu la complexité des personnages, en jouant sur les hors champs visuels et psychologiques, le réalisateur nous plonge dans un climat de  malaise et de tensions croissants. Car c’est bien par la mise en scène et notamment par tout le travail effectué sur l’espace et le hors champ que le film se distingue, loin de la  théâtralité habituelle dont fait preuve le cinéaste. Le film construit une opposition entre la beauté lumineuse et glaciale des paysages enneigés et l’espace sombre et étriqué qu’est  l’intérieur de la maison. Kazan assombrit de plus en plus les plans, les obstrue ou les surcadre, jusqu’à enfermer la fin du film dans un huis-clos étouffant. Les corps, filmés de manière  très serrée, souvent encadrés par des embrasures de portes ou des couloirs étroits, ont de plus en plus de mal à circuler dans cette maison. Ils se gênent et entrent en concurrence  pour s’approprier l’espace. Les regards pointent sans cesse vers des éléments ou dans des directions hors cadre, accentuant le sentiment de malaise chez le spectateur et l’ambigüité  des personnages, dont les pensées n’en sont que plus difficiles à déchiffrer.

Les Visiteurs propose au spectateur une expérience intense et noire, dont il ne sort pas indemne.  Directement interpellé par le regard caméra de la scène finale, toute possibilité de «changer les règles du jeu » lui semble refusée.

Cyril Jousmet

Lingerie plongeante

Entre nos mains

On le sait bien. On entend tous ces histoires d’entreprises en faillite. On peut lire dans tous les journaux le nombre important de salariés qui perdent leur emploi. Mais que l’on se sente concerné par le sujet ou non, Mariana Otero parvient à nous toucher en nous livrant les espoirs et les déceptions de ces ouvrières confectionnant de la lingerie. Car dès les premières minutes du film, on s’attache à ces femmes qui mènent un véritable combat. Entre nos mains n’est pas uniquement un documentaire qui nous montre des salariés à la limite de perdre leur travail, c’est aussi un film grâce auquel on ressent les émotions de ces gens. Car on se sent proche de toutes ces femmes et de ces quelques hommes qui sont face à la menace qui plane lourdement sur cette entreprise, si importante pour eux. C’est une lutte acharnée pour tenter de faire survivre leur société. Un projet se met en place ; une coopérative  pourrait peut-être leur permettre de remonter la pente. Mais une fois encore, rien n’est simple. Car les ouvrières sont confrontées au financement problématique que cela représente, et surtout à leur patron qui dresse devant eux un mur hostile. Malgré tout, Mariana Otero réussit avec simplicité à nous faire partager leurs sentiments avec émotion et exaltation.

Amélie, Camille et Lucille du lycée Rotrou de Dreux

De l’impro avant tout chose

Jacques Cambra, ciné-concertiste de talent, bien connu et reconnu de notre cher Festival, revient pour la sixième année à la Rochelle accompagner avec brio de grands films muets.

Vous êtes très attaché à ce festival, qu’est-ce qui selon vous le  démarque des autres ?

Jacques CambraD’abord la période. Le Festival arrive pour moi à un moment où l’on a des choses à raconter, comme un concentré de toutes les choses faites pendant la saison.  La ville aussi, que j’aime beaucoup et où le Festival est très bien intégré. Et le public, le cinéma, savoir qu’il n’y a pas de compétition, que c’est un échange et un rendez-vous pour  passionnés, qui met en avant les oeuvres, notamment le muet que l’on me permet de faire découvrir à travers la musique.

Quelles sont vos influences, ceux qui vous inspirent lorsque  vous jouez?

Il y a évidemment la musique classique : Chopin, Brahms, Beethoven… et pour le cinéma, indéniablement le cinéma américain, du muet jusqu’à nos jours.

Comment se  construit un ciné-concert, n’est-ce vraiment que de l’improvisation?

D’abord, je me plonge vraiment dans l’oeuvre, sur ce qu’a voulu montrer le réalisateur, qui il est, quitte à voir  d’autres de ses films, lire des articles afin d’avoir une vue d’ensemble, une structure. Mais cela reste de l’impro, jamais une note pour une image spécifique. D’une représentation à une  autre, je peux totalement changer ma manière d’interpréter, selon l’univers, selon mon état d’esprit, selon le public même mais la structure, elle, va rester assez semblable.

Vous  franchissez en quelque sorte la barrière entre le public et le film, comment le ressentez-vous ?

Le principe du ciné-concert, c’est aussi et surtout d’écouter le public. De réagir en  fonction de lui mais aussi au contraire de se refuser parfois d’aller dans son sens, pouvoir le surprendre, l’emporter un peu plus avec la musique. C’est un vrai partage qui met en  situation le public face à des sentiments personnels que le muet peut leur évoquer.

Que pensez-vous de Greta Garbo?

Magnifique. C’est une grande tragédienne à la retenue exceptionnelle. Son jeu n’a fait qu’évoluer depuis les années 20, elle m’inspire beaucoup.

Vous êtes présents aussi à l’échelle internationale, cela vous tient à coeur?

Beaucoup, j’ai une  sorte d’intimité avec le public étranger, qui a ses coutumes, sa musique et chez qui je viens un peu « casser les frontières ». Mais je ne prends pas de grands risques, je viens avec de  grands films.

Reviendrez-vous à la Rochelle et quels sont vos projets à venir?

Je serais le 25 à côté de Poitiers, pour des ciné-concerts, et à la rentrée au Festival du film d’Arras.  Quant au Festival, auquel je suis très attaché, je reviendrais, c’est certain. Propos recueillis par Rouba Salloum et Jérémy Nebor Ciné-concert Le Tombeau des amants le lundi 5 juillet  à 14h30 et The Lodger le mercredi 7 juillet à 11h (Salle bleue)

De la musique encore et toujours !

Christian Leroy anime l’atelier ciné-concert sur le film La Femme Divine de Victor Seastrom (Sjöström) dans le cadre de la rétrospective Greta Garbo.

Comment êtes-vous devenu  ciné-concertiste ?

Je suis devenu concertiste très jeune à 16 ans, je jouais dans les groupes de rock et puis de jazz, et musique improvisée. Par la suite j’ai commencé à composer des  musiques pour le théâtre, la télévision, et parallèlement à me produire au piano solo avec mes compositions. En 1979, j’ai rencontré les musiciens qui allaient former l’ensemble  Métarythmes de l’Air. Le travail sur mes compositions les intéressait, de même que leur formule de base (clarinette basse, contrebasse, piano) me semblait correspondre au travail de  composition que j’allais entreprendre. Vous avez créé la musique de grands classiques du cinéma tels le Dracula de Tod Browning et La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor  Dreyer.

Comment vous est venu ce projet qui peut sembler ambitieux ?

Depuis le centième anniversaire du cinéma, j’ai consacré mon travail de compositeur à l’élaboration de  compositions originales pour les grands films du patrimoine (noir et blanc muet) entre autres Nanouk l’esquimau etc. Ce ne sont pas des ambitieux projets. Ce sont des projets pour  lesquels le musicien doit avoir beaucoup d’humilité: créer une musique sans trahir les instants dramaturgiques construits par le réalisateur, la musique ne doit pas phagocyter l’oeuvre  cinématographique. Les ciné-concerts ne sont pas des concerts, ni des séances de cinéma traditionnelles. C’est une technique particulière: faisant appel à beaucoup de paramètres  différents (nombreuses lectures et codes). C’est devenu ma source d’inspiration, mais je ne néglige pas pour autant le cinéma d’animation et les concerts traditionnels.

Qu’est-ce qui  fait pour vous la force d’un ciné-concert, sa spécificité ?

La force d’un ciné-concert, disons plutôt la particularité, c’est que la musique est presque partout sur le film et que les  musiciens sont l’interface, comme le public d’ailleurs, entre le projecteur et l’écran, parfois ils se confondent avec les images du film… Il y a une sorte de vertige, de magie… Les  musiciens sont dans une sorte de pénombre et vivent tous les moments cinématographiques et musicaux en phase avec le public…

Comment créez-vous une musique de film ?

D’abord c’est un coup de foudre, un peu comme en amour, et puis je commence par composer les scènes finales du film, et je remonte doucement après de centaines d’heures de visionnements  vers le générique du début. Je crée toujours mes musiques et n’emprunte jamais à personne.

Comment est né le projet de l’atelier avec les lycéens ?

C’était une proposition du Festival  de La Rochelle. Depuis longtemps j’enseigne la musique de cinéma, il me semble indispensable de montrer aux jeunes la place de la musique, de la conception à la présentation sur  scène ciné-concert.

Propos recueillis par Viviane Saglier

Voyage dans l’eau-dela

The Well

The Well est le deuxième long métrage d’Umesh Kulkarni. Une famille se réunit à l’occasion d’un mariage. Les enfants investissent la maison, jouent avec les cadres des pièces, se  cachent dans les recoins. Nachiket, lui, refuse de se cacher, défend l’idée que l’invisible n’est pas l’absence. L’invisible est là où l’on ne s’attend pas à voir, où l’on ne cherche pas à voir. Il attend la révélation. Les enfants fourmillent dans les couloirs, espace privilégié chez  Kulkarni, qui l’observe sous tous les angles. De face, le couloir permet unegrande  profondeur de champ, l’enfilade des pièces, les différentes strates de la famille et une hiérarchie de l’espace. Dans sa longueur, il se confond avec les lents travellings qui deviennent  une marque de fabrique du réalisateur, panorama général transcendant les différences, déroulé de personnages comme sur une pellicule dont les cloisons formeraient les marges, comme c’était déjà le cas dans Gaarud. Le travelling comme outil de la révélation. Au cours de leurs jeux, les enfants croisent le monde des adultes, les cuisines où les femmes tiennent conseil entre le pilon et le mortier, les salons où les hommes parlent argent et pouvoir sur des coussins rouges et verts. Les cloisons sont poreuses, l’enfance est transitoire. Puis la famille sort de la  maison, va se perdre dans les vastes collines environnantes, jusqu’au puits, ce gouffre d’eau lumineuse qui attire inexorablement les regards. Il est rond, avec un escalier en spirale  comme un stupa inversé autour duquel on tourne rituellement. Ce trou, qui reflète la matière du ciel immense, et dans lequel se baignent Sameer et Nachiket, les deux cousins  inséparables. La voix off creuse la distance entre le réel et l’outre-tombe. La profondeur du puits fait écho au vertige du ciel, les deux espaces se confondent, se baigner est déjà un  voyage dans l’eau-delà.

Viviane Saglier

Vie privée d’une araignée

N’a t-on pas fini de filmer la solitude? à en croire la manière dont elle se laisse regarder… On pense d’abord à Depardon avec La Vie Moderne qui filmait les paysans avec une simplicité  t un recueillement presque glacial. Ivan Nikolaevich Skorobogatov est un vieil homme seul. Et ce n’est peutêtre pas cette solitude dans laquelle il s’enferme qui touche mais  davantage celle dans laquelle il se débat. Aveuglément car Ivan est aveugle. Condamné au noir, à tisser, tisser et retisser les filets d’une longue toile dans laquelle il s’emmêle. Il n’y a  ni jeu, ni plaisir d’une situation dramatique mais juste la décision d’un réalisateur de poser sa caméra et de filmer pendant vingt minutes un homme dont on ne sait rien. Au dehors, c’est  pareil. Ivan est seul. Ramené à un fantôme que les gens semblent ignorer, presque traverser, tandis qu’il ne demande qu’une faveur qui n’en est pas une : « Prenez mes filets, s’il vous  plaît ». Personnage presque intemporel, hors de son époque, donnant de son temps et de son argent pour un peu d’affection et des filets que l’on n’utilise plus depuis longtemps, Ivan  lutte. Puis il y a les pleurs. Et la réalité que tout n’est ni rose, ni noir pour cet aveugle mais plutôt d’un étrange gris, un gris brouillard. Documentaire brut, de simplicité et de vérité,  Dans le noir renvoie à un cinéma où l’on pourrait juste poser sa caméra, s’asseoir et regarder se mouvoir au delà d’un acteur, un être humain.

Jérémy Nebor