Jeudi 8 juillet

Une de l'éphémère N6

Changement sur la grille

Aucun changement.

Soirées exceptionnelles, événements

14h Tant qu’on a la santé présentation Carlotta Films et ADRC, projection suivie d’une rencontre avec ADRC, AFCAE et ADFP

14h30 Cleveland contre Wall Street présentation Jean-Stéphane Bron, réalisateur, projection suivie d’un débat

16h15 Rencontre avec Sergey Dvortsevoy / Théâtre Verdière La Coursive

17h Women Are Heroes présentation JR, réalisateur, et l’équipe du film, projection suivie d’un débat

17h30 Du silence et des ombres présentation Lost Films et ADRC

17h30 Le Chant des insectes présentation Peter Liechti, réalisateur, projection suivie d’un débat

20h15 Soirée Conseil général de la Charente-Maritime Alamar présentation Pedro González-Rubio, réalisateur / Grande salle La Coursive

22h Soirée GNCR Mon bonheur / My Joy Sergei Loznitsa

Edito

Sergey Dvortsevoy est un homme des grands espaces. Dans les déserts des steppes, des neiges, des villes, il filme la solitude des hommes. Il est un regard qui accompagne, observe et jamais ne s’interpose, malgré toute la difficulté qu’implique la passivité devant le dur labeur. Il approche les hommes à pas de loup, les apprivoise doucement. La magie du quotidien dans la simplicité d’une observation emprunte de l’humanité la plus pure. Le petit théâtre du banal. Et dans ce monde des hommes s’infiltre le monde animal : une chèvre, un aigle, un chat, de nouveaux paramètres incontrôlables. Deux univers qui se rencontrent pour apprendre à vivre ensemble, dans une temporalité étirée par le territoire immense dans lequel les protagonistes évoluent. La frontière entre fiction et documentaire n’a plus de sens, chacun se nourrit de l’autre pour mêler l’émotion au réalisme.
Viviane Saglier

Le procès de Wall street n’aura pas lieu

Jean Steaphane Bron

Jean-Stéphane Bron s’empare de la crise des subprimes aux Etats-Unis en se concentrant sur l’exemple de la ville de Cleveland. Après une vague de saisie immobilière par les banques, les avocats de la ville décident d’attaquer Wall Street qu’ils jugent responsable. Mais le procès tarde à devenir réalité. Jean-Stéphane Bron décide de reconstituer ce qui n’a pas eu lieu…

Comment avez-vous eu l’idée de vous emparer de cette affaire ?

J’avais une intuition autour de la question de la Finance, bien avant qu’on ne parle de subprimes et de « crise ». C’était il y a trois ans et demi et plus le temps passait, plus la question de l’origine de la crise devenait clairement américaine, pas qu’au sens d’un pays, mais aussi au sens d’un mode de vie, d’un système, d’une pensée, etc… Plutôt que de faire un film qui se passait dans le monde entier, j’ai choisi un endroit très spécifique : la ville de Cleveland. Là où on regarde en détail une chose très particulière, on a peutêtre une chance d’éclairer quelque chose de très universel. C’est une réflexion très globale qui m’a amené à un point très local.

Pourquoi la ville de Cleveland ?

J’ai lu une brève comme quoi la ville portait plainte contre vingt-et-une banques, et deux semaines après j’étais à Cleveland. Je n’ai pu rencontrer les avocats qu’après une longue recherche du film dans sa forme cinématographique. Dans une situation judiciaire, tant qu’on n’est pas au procès, ce n’est ni cinématographique, ni dramatique, c’est quelqu’un devant un ordinateur, qui envoie des mails etc… Le film ne pouvait pas être là. J’ai proposé à l’avocat de la ville de Cleveland de mettre en scène le procès. Puisque la réalité se dérobe, construisons quelque chose ensemble, où l’on montre une situation qui n’a pas eu lieu. C’est devenu un espace de parole, de témoignage.

Vous avez agencé tout le procès, c’est donc vous qui avez choisi les témoins ?

Oui. Le film est construit comme une enquête. On remonte une chaîne de responsabilités, et pour que cette enquête fonctionne, il fallait des témoins bien spécifiques. C’est comme dans le récit espagnol, où un personnage en amène un autre, qui en amène un autre… cette chaîne de témoins est au fond une chaîne de causalité. Ensuite, j’ai proposé le cadre, le jeu de cartes, dans lequel il y aurait un flic, un brocker, une famille, un politicien… et à partir de là c’était à eux de jouer.

Les avez-vous choisis pour leurs opinions politiques ?

Cleveland VS Wall Street

Pas tellement en terme d’opinion, mais plutôt en terme d’histoire racontée, parce que ces témoignages devaient aussi être un récit. Ce qui importait était à la fois leur cinégénie et la force du témoignage. Comme c’est un film qui est beaucoup porté par la parole, les corps sont importants. Il fallait des gens qui soient forts dans leurs corps, avec une capacité à transmettre par des attitudes physiques ce qui était moins verbal. Il n’y avait qu’un brocker, Keath. J’espérais qu’il accepte. C’est étrange que l’avocat des banques ait accepté. Vous savez, c’est un avocat. Les criminels multi-récidivistes trouvent toujours un avocat. De son point de vue, les banques n’ont fait que des choses légales. L’avocat de la partie adverse se défend par la loi, tandis que Josh Cohen se défend par l’humanité. Absolument. Keith Fisher c’est la raison, et Josh Cohen c’est le coeur. Tout le discours extrêmement libéral est en apparence très raisonnable, comme si la compétition découlait directement de l’homme, comme si tout ce système découlait de lois naturelles. Le film devait montrer tout ça. J’espère que le spectateur le déduit par lui-même. Il a aussi la possibilité de se dire que les familles impliquées sont des victimes qui ne sont pas que victimes, qui sont aussi un peu responsables de leurs malheurs.

Comment avez-vous choisi le jury ?

Ce sont les avocats qui l’ont choisi. J’ai proposé quinze jurés qui étaient disponibles pendant le tournage, tous les jours, dix-douze heures par jour, il fallait qu’ils aient les mêmes habits, qu’ils aient un sens du sacrifice aussi, qu’ils soient impliqués, qu’ils suivent véritablement le procès et qu’ils ne fassent pas seulement de la figuration. Parce qu’il y avait la délibération. C’est leur vraie réflexion qui en ressort. Je ne connaissais pas la décision finale du jury. Finalement le jury américain, c’est un peu comme si c’était les spectateurs de votre film aux états-Unis ? Ce sont eux qui doivent prendre parti par rapport à votre mise en scène. Absolument. C’est aussi un film sur le documentaire. Sur les règles du  documentaire, et cet espace un peu étrange qu’on appelle un espace-vérité.

Est-ce que c’est vraiment la vérité ? Qu’est-ce qu’un entretien ?

Selon qui pose les questions, on obtient des réponses différentes. C’est une affaire de points de vue et de regards. Les spectateurs de l’histoire sont dans le dispositif lui-même. Ils vont même donner leur avis sur la pièce. Je trouve ça intéressant quand on fait un film qui interroge un système, d’interroger son propre système. Le film s’y relaie dans sa propre forme. On oublie un peu que dans le documentaire, il y a au moins autant de genres, de sous-genres, de pistes, qui ont d’ailleurs été très peu théorisés, c’est un peu ce dont le documentaire souffre. Un sujet est très vite happé par les témoignages, quel regard ça porte sur le monde, et on oublie un peu qu’on a aussi besoin de parler de la forme. Je pense que cette réflexion aiderait bien les gens à ne pas être trop dans la confusion. Le vrai, le faux, la télévision, tout est une grande salade, si le documentariste osait plus montrer l’envers du décor, de montrer que c’est aussi impur que la fiction, ça n’enlèverait rien au plaisir documentaire. Les spectateurs seraient un peu plus conscients de ce qu’est un témoignage, de ce qu’est la vérité, et c’est intéressant qu’on soit des spectateurs intelligents.

Deux ans après, où en est l’affaire ?

Elle suit son cours, mais elle avance à pas de saucisson.

Propos recueillis par Viviane Saglier

A pas de loup

Sergey DvortsevoyRencontre avec Sergey Dvortsevoy au salon indien, qui évoque ses documentaires… Vous choisissez chaque fois de filmer des familles, des individus ordinaires.

Comment parvenez-vous à pénétrer leur intimité?

Si je le peux, je vis et reste au moins trois mois avec eux. Lorsqu’on a tourné Highway, je voyageais avec eux. Pour Dans le noir, le tournage a duré plus longtemps parce qu’il arrivait que l’homme tombe malade ou que nous ne puissions pas tourner. Chaque fois, je viens une ou deux semaines auparavant, en apportant juste ma caméra, sans filmer. Je veux juste qu’ils s’habituent à elle, ce qui prend du temps. Mais ils finissent par ne plus y faire attention. Cela devient comme un meuble, un élément de la vie de tous les jours. Ils vivent juste leur vie et je les filme. C’est pour cela que j’amène avec moi peu de techniciens. Je fais le son, j’ai un cameraman et, parfois, des chauffeurs. Pour Le Jour du pain, nous n’étions que deux.

Beaucoup de réalisateurs veulent garder un contrôle sur l’image, pourquoi choisir le son?

Je fais confiance aux ingénieurs du son. Sur Tulpan, j’ai travaillé avec de très bons professionnels, mais pour un documentaire, on vit avec les gens, on va chez eux, on les dérange. Il est très important de garder la même atmosphère. S’il y a trop de techniciens présents sur le tournage, ils détruisent cela. Je ne filme pas personnellement, même si beaucoup de gens le pensent. C’est plus important pour moi de contrôler l’atmosphère qu’il y a autour de la caméra. En prenant le son, c’est possible, même si cela reste complexe. Je garde de toute façon un contrôle sur l’image en amont. De façon générale, je décide de la composition du film avant le tournage, non pas pendant. Aujourd’hui, on voit beaucoup de films où les gens enregistrent tout ce qu’ils voient et font leurs choix après. Pour moi, c’est très important de décider avant. Pour Le Jour du pain nous avions dix-sept jours, c’était donc nécessaire pour pouvoir me focaliser sur le tournage.

Comment trouvez-vous vos sujets ?

Pour Le Jour du pain, j’ai vu un reportage à la télé qui était centré sur le village plutôt que sur la situation d’isolement à laquelle ils étaient confrontés. Cette histoire m’a intéressée et je suis allé là-bas. J’ai vu le wagon, qu’ils ne montraient pas à la télévision. J’ai vu qu’ils le poussaient tous les mardis pour apporter le pain au village, et que la situation était beaucoup plus dramatique qu’ils ne le montraient dans le reportage. La question éthique est essentielle dans un travail comme le vôtre.

Comment vous positionnezvous par rapport à cela ?

C’est la plus grande contradiction du documentaire. C’est pourquoi j’ai arrêté d’en faire. C’est important car l’on passe beaucoup de temps avec les gens. On devient une partie de leur  vie. Mais le film documentaire n’est pas vrai, ce ne sont que des tranches de vérité. Les documentaristes ne sont pas forcément des gens biens. Pour aider les gens, autant le faire directement. Mais c’est important de voir des images de la vie réelle. C’est pour cela que j’ai fait ces films dans le passé. Plus on fait de documentaires, plus on a de compétences pour faire des films. Je suis devenu de plus en plus professionnel et j’ai arrêté. Vous avez choisi de filmer des gens dans des conditions très difficiles, qui cherchent à s’en extraire… On peut tout expliquer mais pour capter l’émotion c’est différent. C’était très important pour moi de capter l’essence et non pas d’expliquer. Et par elle, toucher intellectuellement et  émotionellement. Les personnes âgées que je filme ont énormément de motivation et c’est précisément ce que je cherchais. A travers leurs désirs, c’est eux que je présente, leur caractère, leur personnalité, les relations qu’ils nouent entre eux. Il n’y a pas de film s’il n’y a pas de conflit. Ce n’est pas un problème de compétences et de construction de film c’est d’abord une question de vie. C’est vital au niveau de la composition narrative.

Votre montage est assez visible où de longs noirs séparent les images, pourquoi avoir fait ce choix ?

Je n’aime pas cloisonner les choses, les images. Elles ont leur énergie propre que je risquais de briser en les rapprochant trop. Ces noirs permettent de ne pas détruire la nature de ces
images, leur essence.

Propos recueillis par Manon Pietrzak et Alice Sorin

Baisers volés

Le baiser

Entre l’amant, le mari et l’admirateur, la belle Irene Guarry, jouée par Greta Garbo, s’embourbe dans un triangle amoureux. Irene renonce à Alain Dubail, l’amour adultère, par devoir  envers son mari qu’elle n’a jamais aimé. Charles Guarry, l’époux, vieux et jaloux, a des problèmes financiers qui l’amènent à demander de l’aide à Lassalle, homme d’affaires. Pierre Lassalle, le fils de ce dernier, a dix-huit ans et est éperdument amoureux d’Irene. Un jour où Charles a rendez-vous avec Lassalle, Pierre rend visite à la jeune femme. Au moment de se retirer, il lui demande un baiser. Attendrie, Irene donne quelques faveurs au jeune homme en quête d’éternelles étreintes. De baiser forcé à baiser fatal, Charles, ayant entre-temps décidé de faire demi-tour, arrive au mauvais moment….

Le Baiser est le dernier film muet, avec bande sonore synchronisée, de la Metro Goldwyn Studio. Le cinéma parlant avait déjà fait son apparition, mais la société s’évertuait à donner à Garbo des rôles muets, de peur que son accent suédois n’écorche la langue anglaise. C’est donc l’image de « la Divine », débarrassée du verbiage sonore, qui retient notre souffle. Son visage et son allure sont magnifiés par le seul son de l’orchestre, à l’image de l’affiche qu’elle offre à son jeune admirateur Pierre Lasalle. Un portrait figé, empli de beauté. Une féminité révélée à l’érotisme interdit. A l’image de Garbo aussi : séduisante, distante, admirée, mystérieuse, aimée, fuyante. Le Baiser a été le premier film hollywoodien de Feyder. Et c’est justement ce dans quoi nous emporte le film : dans les frasques de l’Amérique glamour, dans les tourments du coeur, avec ce qu’il faut de passionnel, de comique et d’irrémédiable. Et dans le tragique, la part de rêve.

Vanessa Houpert

Brouillamini !

Katia et le crocodile

Combien d’animaux faut-il pour semer une gentille zizanie dans les rues de Prague ? Deux lapins angoras, un étourneau qui parle, une tortue des marais, un singe macaque, une dizaine de souris blanches et bien sûr… un crocodile. Cette petite ménagerie s’échappe. à leurs trousses, une parade de personnages petits et grands qui déambule sur un rythme de western folklorique. Qui mettra de l’ordre dans cette pagaille ? Le marchand de ballons de la petite place ? L’orchestre de petits papys myopes et à moitié sourds brandissant leurs violons ? Les Indiens en culottes courtes ou les anciens combattants déguisés en pompiers ? Sous le regard de verre et le sourire narquois d’un petit crocodile en équilibre sur les toits, Katia, ses amis et leurs bouilles sympathiques nous entrainent avec allégresse dans cette aventure délicieuse et malicieuse, qui se termine à temps pour le goûter.

Tourné en 1966, Katia et le crocodile est un très joli portrait en noir et blanc d’un quartier de Prague débordant de vie et d’enfants. Cette comédie légère est racontée en toute simplicité et jouée avec beaucoup de naturel. à la question « Qu’est-ce qu’un film pour enfant ? », Vera Simkova, la réalisatrice, répond : « Un film de qualité, comme pour adultes. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’adapter la forme ou le contenu d’un film en fonction d’un public déterminé. Les enfants sont très réceptifs, leur fantaisie donne tant de versions multiples à un simple thème que nous n’avons pas besoin de rêver pour eux ».

Un petit bijou burlesque plein de charme et de gaieté, une histoire de crocodile pour tous les âges et à croquer !
Catherine Hershey

Strange fruit

Du silence et des Ombres

Robert Mulligan filme avec émotion un frère et une soeur, Jem et Scout, dont le père avocat, Atticus Finch, accepte de défendre un ouvrier noir injustement accusé du viol d’une Blanche. Nous sommes dans les années 1930, dans une petite ville du fin fond de l’Alabama : le racisme et les préjugés sont omniprésents, profondément ancrés dans cette terre qui nourrit à peine ses fermiers brutaux et abrutis, et ne laisse aucune chance à ses citoyens noirs. Mulligan filme avec une grande sensibilité cette atmosphère caractéristique du Sud : les images laissent transparaître la chaleur moite, le vent qui secoue les grands arbres menaçants et semble pousser les enfants à courir sans cesse, de leur balançoire à la maison de Boo Radley, de leur maison à l’école, de la rue au tribunal… Curieux de tout, ils évoluent avec grâce et vivacité entre leur père, modèle de droiture et d’intelligence, et les habitants de Maycomb, incapables de concevoir qu’un homme blanc puisse défendre un Noir.

Tout peut basculer d’un moment à l’autre : le danger rôde, incarné tour à tour par un chien enragé, le père de Boo Radley à la gâchette facile, la foule de fermiers venus se faire justice eux-mêmes, et bien sûr le cruel et menaçant Bob Ewell, qui accuse Tom Robinson d’avoir violé sa fille. Aucun espoir n’est vraiment permis : le procès, qui a attiré toute la ville, se tient dans une atmosphère étouffante. Il est joué d’avance : malgré l’éloquence et la conviction d’Atticus, on sait qu’on ne peut se permettre de croire à l’acquittement de Tom Robinson ; mais après cette longue séquence d’une violence inouïe (gros plans sur les visages grossiers de Bob Ewell et de sa fille hurlant leurs mensonges à l’assistance, l’appel déchirant d’Atticus aux jurés , tous blancs), on se sent aussi accablé que les enfants de l’avocat, confrontés pour la première fois de leur vie à l’injustice. On est autant émus par ces trois petits visages blancs au milieu de la foule noire massée au balcon du tribunal que par le désespoir contenu d’Atticus, quittant le tribunal la tête haute. Du silence et des ombres est un film poétique et violent, dur et humaniste, qui ne peut qu’émouvoir profondément.
Sophie Garnier