Ramin Bahrani

Jean-Michel Frodon

Il y a deux histoires, et toutes les deux sont passionnantes.
La première est celle que raconte aujourd’hui l’enchaînement de trois beaux films signés d’un jeune cinéaste américain contemporain. Les films s’intitulent Goodbye Solo. Et le jeune réalisateur a eu pour mentor à New York le grand cinéaste iranien exilé Amir Naderi. Et il est évident que chacun de ses trois longs métrages se construit sur un écart, écart d’origine et social avec le Pakistanais sans papiers du premier, écart social et ethnique avec l’enfant noir du deuxième, écart ethnique, générationnel et linguistique avec le vieil américain blanc et le jeune noir francophone du troisième. C’est avec cette parfaite prise en compte de ces liens, de ce passé, qu’il construit son œuvre de réalisateur nord-américain.

Puisque le plus significatif est bien sûr le point où ces deux histoires se mêlent. Le cinéma de Bahrani est du cinéma américain d’aujourd’hui, justement parce qu’il est capable, grâce à cette position de fils d’immigrés, de regarder un état contemporain du melting-pot états-uniens, avec le recul et les nuances d’un artiste qui en a expérimenté les réalités, mais aussi qui est capable d’inscrire ce que sa trajectoire a de singulier, ou de communautaire, dans le paysage d’ensemble de son pays. Et c’est cette alliance asymétrique de ce qui vient d’un héritage lointain et de ce qui se construit ici et maintenant qui donne cette force universelle au cinéma de Ramin Bahrani.

1. Entretien aux Cahiers du cinéma n° 638, octobre 2008