Vendredi 3 juillet

Rencontre avec un « Jacques Tati norvégien », Bent Hamer.

En Europe, on parle de vous comme d’un « Jacques Tati norvégien ». Que pensez-vous de ça ?

Rencontre avec un « Jacques Tati norvégien », Bent Hamer.

En Europe, on parle de vous comme d’un « Jacques Tati norvégien ». Que pensez-vous de ça ?

J’en suis très flatté ! J’adore les films de Tati. Je n’ai aucune intention de l’imiter, mais c’est vrai qu’il y a des points communs entre nos cinémas.

Quelles sont vos influences, cinématographiques, littéraires, plastiques ?

Je suis influencé par plein de choses. J’ai fait des études de littérature, je lis beaucoup. En France, vous avez des auteurs formidables : Céline, Duras, Giono, Genêt, De Beauvoir… Ces auteurs là font partie de mon background donc ils sont aussi dans mes films. Quant à la peinture, un jour Ettore Scola m’a dit, après avoir vu Eggs, que je devais être influencé par Edouard Hopper. Je n’y avais jamais pensé, mais en effet il y a cette influence.

Vous êtes très attentif à vos personnages. Comment choisissez-vous vos acteurs ? Comment travaillez-vous avec eux ? Faites-vous de nombreuses répétitions ? Les laissez-vous proposer des choses ?

Je n’ai pas tellement de méthode. Le casting est primordial. C’est le cas dans tous les films, mais peut-être spécifiquement dans les miens car il y a peu de dialogues, ils sont basés sur des situations, où les personnages se développent. Avec les acteurs âgés, ce qui m’intéresse est le fait qu’ils sont vieux, plus que le fait qu’ils sont acteurs. Ils sont vieux avant d’être acteurs, je veux qu’on sente ce qui relève de leur propre vie. Mes scénarios sont moins épais que la normale, à cause de cette rareté des dialogues. Et souvent les acteurs aiment ça, même les acteurs américains : ils aiment devoir développer le personnage à partir des seules situations décrites. Quant aux répétitions, je les déteste. Si les acteurs ont besoin qu’on en fasse, évidemment nous en faisons. Mais j’essaie de leur faire comprendre le message que je veux transmettre en leur parlant d’autre chose. Je préfère leur expliquer par des détours plutôt que frontalement.

Choisissez-vous les comédiens une fois le scénario fini ou plus tôt, pour adapter le personnage à l’acteur ?

Ca dépend. Parfois j’écris le scénario en ayant en tête un acteur précis, parfois je le choisis une fois le scénario fini.

Vos plans sont très précis : faites-vous un story board ?

Je n’en fais pas un en entier parce que c’est beaucoup de travail. Mais pour certains passages difficiles je dois en faire, pour que toute l’équipe sache où la caméra se trouve, où les acteurs se déplacent… Si j’écrivais pour un autre réalisateur, je devrais faire un story board complet et détaillé pour obtenir des plans aussi précis. Mais comme c’est moi qui écrit et moi qui filme, je n’ai pas besoin de faire ça, je sais ce que je fais.

Faites-vous beaucoup de prises ?

Non, j’en fais peu. Peu de répétitions, et peu de prises ! Pour Eggs, je pense avoir fait 1, 5 prise par scène. J’ai l’esprit ouvert, j’écoute les propositions de n’importe qui dans l’équipe, mais mon cinéma m’oblige à savoir précisément à l’avance ce que je veux. Si je veux modifier des choses je dois avoir un scénario détaillé, sinon j’aurais trop peur. Ce qui me facilite les choses pour apporter des modifications, c’est que je suis mon propre producteur.

Combien de temps durent en général vos tournages ?

Celui d’Eggs a par exemple duré 22 jours, et c’était fantastique. Factotum a duré 24 jours, mais il était situé dans au moins 12 lieux différents, donc par rapport à cette difficulté là nous avons fait vite.

Vos personnages vivent presque tous une routine qui est perturbée par quelque chose (l’arrivée d’un étranger, un départ à la retraite…)

Dans mes films, il n’y a pas de trame au sens hollywoodien, on n’y identifie pas très facilement un début, une fin… Alors le fait de montrer un personnage dans une routine et de briser cette routine est une façon de dramatiser le film. C’est différent de ce qu’on demande dans les écoles de cinéma, où il faut une structure forte. J’écris très librement, je rajoute au fur et à mesure, je change d’idée… Ma façon de construire mes films est très ouverte.

Combien de version du scénario faites-vous en général ?

Au moins trois, mais les changements sont souvent minimes. En octobre, je vais commencer un nouveau film, tiré d’un livre de nouvelles d’un écrivain norvégien. Il se passe au même endroit, pendant quelques heures, pendant la soirée de Noel. Il y a tellement de façons de l’adapter qu’évidemment il y a des choix à faire. Je compte beaucoup sur le montage pour continuer à modifier le projet. C’est important de se garder du temps pour le montage, on a davantage de recul. Et en plus ca ne coûte pas très cher.

Vous écrivez vos films seul, ne ressentez-vous pas le besoin de travailler au moins à deux ?

Je lis beaucoup de scénarios, mais ils sont tellement mauvais. Donc tant que je ne trouve pas un bon scénariste, je préfère travailler tout seul, écrire mes mauvais scénarios tout seul !

Quel accueil reçoivent vos films en Norvège ?

La fréquentation en salles est correcte, mais ils ne sont pas au box office, parce que les gens vont voir les films dont on parle, les films à stars… Mais de façon générale pour le cinéma norvégien, il faut bien savoir que nous sommes si peu nombreux dans notre pays que nous ne pouvons pas faire beaucoup d’entrées. Il y a aussi le problème que nous avons du mal à montrer nos films dans les pays voisins. Ca n’est pas juste, mais ces pays ont beaucoup de préjugés envers notre cinéma. Malgré tout, je suis content de la carrière de mes films, ils sont bien distribués à l’étranger. Mes derniers films sont sortis dans 30-40 pays, y compris les Etats-Unis, et ça c’est fantastique. Que demander de plus, pour des films qui ne sont pas du mainstream ?

Quand comptez-vous terminer votre prochain film ?

Je vais essayer de le finir pour Cannes, puisque j’y ai déjà présenté Eggs (prix de la Semaine de la Critique en 1995), La Nouvelle Vie de Monsieur Horten (Un Certain Regard, 2008), Kitchen Stories (Quinzaine des Réalisateurs, 2003) et Factotum (Quinzaine des Réalisateurs, 2005). Mais ça ne va pas être évident parce que nous devons tourner sous la neige, normalement en novembre décembre, et il n’est pas sûr qu’il neige à cette période en Norvège.

Propos reccueillis par Clémentine Guilbot et Marion Pasquier

Une journée comme les autres

10 h 25 intérieur de la salle 3 – Une fan de Starewitch de 7 ans observe, la mine interrogative, la grosse machine d’où va émerger l’image. A travers la lucarne, le projectionniste lui fait un clin d’oeil. L’enfant éclate de rire et se laisse tomber au fond du fauteuil, avant de chausser de petites lunettes pour se concentrer sérieusement sur la grand écran.

12 h 15 sortie de la salle 1 – Un couple sort lentement de la salle, hésite, puis, dans un besoin de s’ouvrir, explique à l’ouvreur toute l’émotion procurée par le long métrage qu’ils viennent de voir. Lui est tombé amoureux d’Anouk Aimée en 1953 en voyant Les Amants de Vérone pour la première fois. Amoureux, il l’est toujours : de l’actrice, du film, de cinéma… Elle, d’origine italienne, décrit, les yeux émerveillés, son ressenti de la ville dans le film. Le jeune homme en face d’eux a la chair de poule : comment ne pas se sentir contaminé par ce bonheur simple qui se lit en eux ?!

16 h 45 escaliers accédant à la salle 3 – Une femme souriante s’arrête devant la contrôleuse : « Je voulais vous dire infiniment merci de m’avoir conseillé Muksin ! ». Son enthousiasme fait plaisirà la demoiselle badgée : quelques jours plus tôt, elle a passé plus de vingt minutes à converser avec l’ancienne enseignante, un catalogue du festival à la main et des envies de partage plein la tête. Quel joli retour !

18 h 05 hall du cinéma – Un festivalier flâne devant les grilles de programme. Il va à la rencontre de la caissière, lie la conversation et prend des nouvelles de l’équipe qui l’accueille depuis plusieurs séances, s’enquiert des conséquences de la chaleur sur la patience des spectateurs. Le ton tourne à la plaisanterie quand ils en viennent aux bougons esprits échauffés des files d’attente, et qui sortent finalement radieux de la séance de 14 h. Ca vaut parfois le coup de s’enfermer dans les salles obscures malgré le soleil (ou à cause de lui ?) ! Cela pourrait ressembler au point de départ d’un scénario. Le décor est posé, l’ambiance est celle d’un festival de cinéma où équipes et spectateurs se retrouvent autour de ce même esprit de curiosité et de découverte des cinématographies venues d’ailleurs.

Spontanéité des échanges. Richesse du dialogue. Bribes de vie(s) d’un des lieux d’accueil du Festival, où petits moments de grâce succèdent aux temps d’effervescence.

L’équipe de l’Olympia

Le coeur de La Chapelle

A l’écart de la ville, La Chapelle Fromentin nous cache souvent d’agréables plaisirs. Lieu de rencontres avec des cinéastes expérimentaux, nous avons cherché à en savoir un peu plus sur le « maître » des lieux, Brent Klinkum. Depuis environ neuf ans, La Chapelle Fromentin accueille un certain cinéma. Le public, allongé sur des tapis et des coussins, se livre à une expérience renversante.

Comment organisez-vous des manifestations telles que « tapis coussins et vidéos » ?

Brent Klinkum : Je participe à plusieurs festivals durant l’année, notamment à Zagreb, Shanghai, Amsterdam … et tous sont aussi différents les uns des autres. Chaque manifestation tente de correspondre au mieux avec un contexte entre le lieu et un thème. C’est une manière de montrer des réalisateurs, ou des films que l’on aime dans des situations peu institutionnelles. Je tiens vraiment à créer des liens avec le public, car je me dis qu’il n’arrive pas ici par hasard. Je pense qu’il ne faut pas systématiquement attendre que le public vienne à nous, aussi faut-il aller vers eux. C’est comme ça, que dans les années 90, de nombreuses installations ont été présentées dans des magasins, sous des pommiers… des choses vraiment extraordinaires.

Comment sélectionnez-vous les films ?

B.K. : Ma sélection se fait plutôt sur des coups de coeur. Je choisis des artistes qui créent un véritable univers et forment un ensemble qui montre une vision particulière. Ces créations peuvent présenter des performances, des documentaires, parfois comiques… Je prend aussi en compte le fait que le public est allongé ; mes choix prennent en compte cet espace proposé.

Y’a t-il des artistes qui refusent le dispositif ?

B.K. : Non. Néanmoins, le dispositif inquiète quelquefois les artistes. Ils ne sont pas habitués à voir leurs oeuvres allongés. Mais ils sont souvent agréablement
surpris. A vrai dire, lorsque je choisis un artiste, je sais qu’il ne va pas refuser. Je me renseigne avant. Je dois sentir que l’artiste va répondre « oui ». Cela fait partie de mon travail. Les seuls refus sont liés à leur indisponibilité. Je tiens à ce que les artistes soient présents lors de la projection. C’est la seule condition.

Avez-vous des rêves de réalisation ?

B.K. : Non. Je me suis toujours dit que c’était assez dur d’être de tous les côtés. Mais j’ai quand même des choses qui me tiennent à coeur et peut-être qu’un jour je quitterai tout pour réaliser ces idées là, avant qu’il ne soit trop tard.

Propos recueillis Clémence et Anaïs.

De bruit et de fureur

John Hillcoat, réalisateur australien reconnu, a trouvé un compromis. D’un côté, The Proposition (2004) tient d’une grande tragédie shakespearienne, couronnée de sang et d’honneur, comme les respectait John Ford. Le héros, torturé, est déchiré par un dilemme : doit-il tuer le grand frère qu’il admirait autrefois afin de sauver son frère cadet, ou peut-il laisser ce dernier dépérir en prison ? D’un autre côté, cette épopée fratricide est imprégnée de sueur, de rance, de moiteur stupide, fidèle à la cruauté des fresques cyniques de Sergio Leone. C’est donc bien un salut qui est fait ici, une humble déclaration d’amour à l’évolution du western à travers les âges. Qu’y-a-t-il de nouveau, dans ce cas-là, ne manquera-t-on pas de demander?

Tout, ou presque. Si le clin d’oeil cinématographique est perceptible, nécessaire, les personnages ainsi que le développement de l’action, eux, sont devenus très flous. Le montage, dans un premier temps, sec, abrupt, se révèle sans concession : la raison a déserté cette mortelle fournaise que sont les plaines d’Australie en ces temps de colonisation. Ainsi, tout n’est que gesticulations grotesques, désespérées : raconter est devenu interdit. Les intrigues se mêlent, se détachent, et ne font qu’esquisser des personnages tout aussi désarticulés, perdus dans des propos incohérents, des actes absurdes (on notera l’incroyable prestation de Ray Winstone, incarnant le Capitaine Stanley). La mise en scène, splendide, agitée, nous donne à contempler avec tristesse les vestiges d’un monde à la fois naissant et en décomposition, peuplé de revenants hantés par le remords.

Enfin, il y a une opposition centrale dans ce film, opposition qui ne fait qu’appuyer le désespoir ambiant de cette sombre construction : la masse grouillante, incessante, l’insupportable chaleur, le choc de la chair et du sang qui proviennent de l’extérieur se trouvent confrontés à l’austérité, la froideur et la texture fragile des scènes en intérieur. Mais dans les deux cas, une menace latente nous oppresse, émanant de tel ou tel détail, ou de l’arrière-fond sonore. La conclusion, implacable, fera coïncider ces deux univers dans une explosion de violence grotesque, irraisonnée. Un dernier cri avant la contemplation finale : le soleil se couche, un monde est voué à s’endormir.

Benjamin Hameury

Rencontre avec Jean-Marc Chapoulie

Cinéaste, vidéaste et commissaire d’exposition, Jean-Marc Chapoulie interroge le cinéma sous toutes ses formes et porte un regard transversal sur l’image en mouvement. Il pose la question de l’ontologie d’une oeuvre filmique – le comment et le pourquoi d’un objet, son passage du non-art à l’art. Jean-Marc Chapoulie présentera deux films dans le cadre du Festival : 114 ans de cinéma en 45 mm avec Powerpoint et TDF06, CHANT 1. Les projections se feront à la Chapelle Fromentin, les 3 et 5 juillet. L’Éphémère a tenté d’en savoir un peu plus sur la méta-esthétique de ce passionné de cinéma.

Vous êtes à la fois cinéaste et professeur de cinéma aux Beaux-Arts, praticien et théoricien ; dans quelle mesure votre expérience d’enseignant vous a-t-elle permis de définir le champ des possibles en matière d’image ?

Jean-Marc Chapoulie : J’ai toujours navigué entre ces deux questions, pratique et théorie. Lorsque j’étais commissaire d’exposition par exemple, en 2001 – à la Biennale de Lyon – j’avais glissé un de mes films dans l’exposition. Je ne fais pas la différence entre ces deux aspects, tant qu’ils me permettent d’alimenter ce travail de chercheur, car ils se nourrissent l’un l’autre, indistinctement. Car comme le dit mon ami l’artiste Thierry Mouillé, je pratique la théorie à l’école et je théorise la pratique dans mes films.

C’est la première fois que vous venez au Festival en tant qu’invité ; qu’en attendez-vous ?

J-M. C. : Oui c’est la première fois. En revanche, je suis déjà venu en tant que spectateur, deux ou trois fois, voir des films de certaines rétrospectives. L’année dernière j’ai, par exemple, re-dévoré les films de Von Stroheim et Von Sternberg. D’ailleurs, j’ai l’impression de n’avoir vu que ces films depuis ce Festival et je reviens avec plaisir me nourrir pour l’année à venir.

Parlez-nous un peu des deux films que vous présentez à La Chapelle Fromentin, 114ans de cinéma en 45mm avec Powerpoint et TDF06, CHANT 1.

J-M. C. : 114 ans de Cinéma en 45mm avec Powerpoint est une idée assez simple d’utiliser un ordinateur avec un logiciel de présentation pour diffuser une histoire du cinéma. J’amplifie juste notre rapport cinéphilique à la projection en mettant au goût du jour l’effet de montrer un film. J’ai toujours pensé que le projectionniste allait un jour disparaître. 144 ans de cinéma avec Power Point garde en vie ce rôle ainsi que celui du commentateur à côté et aussi le rôle du musicien en dessous. J’essaie de garder ces trois fonctions en réanimation. TDf06, chant 1 est le Tour de France 2006 sans le vélo. J’ai simplement transmué un programme de sport en programme de tourisme. C’est la première chose à laquelle j’ai pensé lorsque Brent m’a invité. Le tour de France est un programme de sieste, inconsciemment nous passons nos après-repas devant les beaux paysages de France. A La Chapelle Fromentin, j’invite tout le monde à venir dormir, allongé sur les matelas à découvrir les merveilleux paysages français.

Vos considérations portent aussi bien sur la redéfinition du genre, que sur les éléments d’une histoire matérielle des supports de l’image en mouvement et d’une histoire hérétique des pratiques filmiques… Votre objectif est-il de créer un nouveau langage cinématographique, plus essentiellement conceptuel ?

J-M. C. : L’analyse est pertinente mais je ne crois pas que la révolution conceptuelle de l’art touche de près ou de loin l’art cinématographique. Attendons quelques siècles ! Je m’exclus volontiers des discours sur le langage et le cinéma. J’ai toujours aimé un cinéma primitif, assez mal éduqué. Je suis plus sensible aux comportements et aux économies des réalisateurs. Je suis assez réfractaire pour débattre sur les dispositifs et les esthétiques a priori.

Quels sont vos projets à venir ? Où peut-on découvrir vos oeuvres en dehors du Festival ?

J-M. C. : Essentiellement des expositions, au CAPC à Bordeaux à la rentrée, et une nouvelle version de TDF06 au MACval avec l’artiste Stéphane Bérard. Un film sur le vin pour le FRAC Aquitaine (NDLR : Fonds Régional d’Art Contemporain) que je fais faire par mes amis (Vin d’honneur 02, mon film fait par mes amis).

Propos recueillis par Aliénor Ballangé