Lundi 29 juin

« Ainsi font, font, font… »

Les films d’animation de Ladislas Starewitch ont rendez-vous avec vous durant le Festival. Cette programmation offre une immersion dans l’univers des ciné-marionnettes et s’adresse à un public de tous les âges. Pour L’Éphémère, nous avons rencontré la petite fille du cinéaste, Léona-Béatrice Martin-Starewitch.

« Ainsi font, font, font… »

Les films d’animation de Ladislas Starewitch ont rendez-vous avec vous durant le Festival. Cette programmation offre une immersion dans l’univers des ciné-marionnettes et s’adresse à un public de tous les âges. Pour L’Éphémère, nous avons rencontré la petite fille du cinéaste, Léona-Béatrice Martin-Starewitch.

Qu’est-ce qui a amené Ladislas Starewitch à l’animation ? Quelles sont ses sources d’inspiration ? Qu’est ce qui a nourri son univers imaginaire?

Son enfance heureuse dans un milieu aimant et cultivé nourrit son imaginaire créatif. Puisc’est une démarche de savant et de professeur qui l’amène au cinéma d’animation. Son désir d’expliquer à ses étudiants comment la nature fonctionne chez les insectes lui fait réaliser Lucanus Cervus en 1909 mais très vite il dépasse l’aspect descriptif et laisse courir son esprit inventif. Il signe ses propres scénarios, illustre Esope, Krylov, Gogol, car ils peuvent s’adapter à son imaginaire avide d’effets spéciaux, de trucages, de surimpressions. Pendant presque dix années je l’ai vu observer, analyser, fabriquer puis m’expliquer : nous partagions son même regard d’enfant.

Dans quel contexte culturel les films de votre Grand’père ont-ils été créés?

Jusqu’en 1910 le Tsar Nicolas II méprisait le cinéma, avec La Cigale et la fourmi de Ladislas Starewitch il a compris l’intérêt immense de ce tout nouvel art et l’a fait entrer à la cour. Les premiers films de Starewitch datent de 1909, ce sont des films ethnographiques puis des films analysant et reproduisant à l’identique des scènes de la vie des insectes. Pour ce faire il invente sa « ciné-marionnette » qu‘il perfectionnera toute sa vie. Starewitch est un autodidacte avide de connaissances et d’expériences nouvelles : son film de quinze mètres qui met en scène – image par image – des Lucanus Cervus n’est pas le premier film d’animation en Russie puisqu’on connaît depuis Pordenone 2008 ceux d’Alexander Shiryaev mais à la différence de ce dernier il a tout de suite vu les perspectives et le potentiel du cinéma d’animation.

Pourquoi met –il en scène principalement des animaux ?

Il est dans la tradition des fabulistes et parle des hommes à travers les animaux. Esope et la Fontaine écrivaient avec plume et encre, Starewitch écrit ses héros avec une caméra, le tout nouveau stylo de son temps. En tant que savant et entomologiste il maîtrise totalement la connaissance et la reproduction du mouvement de tout corps vivant, animal, végétal ou humain. Il a une liberté totale de création, ses ciné-marionnettes exécutent sa volonté à l’image près. A travers elles il porte un regard lucide et ironique mais toujours généreux et humaniste sur le monde qui l’entoure. Avant la révolution Starewitch fait tourner au cinéma les plus grands acteurs du Théâtre de Moscou tel Mosjoukine. En France c’est par le truchement d’une enfant, sa fille Nina Star, qu’il nous fait entrer dans son univers.

Quel regard, enfant portiez-vous sur ses films ?

La première fois que j’ai vu un de ses films c’était rue d’Ulm avec Henri Langlois. Projection sur grand écran du Roman de Renard. J’étais fascinée par les images et le son : la gueule du Lion, son rugissement de rage, mais je ne voyais pas le rapport avec les poupées qui peuplaient la maison. A notre retour, j’ai fouillé le studio, les placards, la cave aux décors, le grenier aux reliques à la recherche de marionnettes à taille humaine. Peine perdue bien sûr puisque la plus grande, le Lion, mesure 90 cm et était, comme d’habitude, sous mes yeux, dans sa vitrine. Mon Grand’père s’est alors assis à sa table de tournage et s’est mis au travail : il m’a expliqué pourquoi il modifiait régulièrement la position des ses poupées sur son établi, le rôle de la caméra, celui des lumières. Le son ajouté, épousait les lèvres. « Mais pourquoi je n’ai pas vu tes films avant ? » « Parce qu’il sont sur support nitrate et qu’ils risquent de mettre le feu au cinéma ». J’ai ainsi fait le rapport entre lui qui jouait avec ses poupées tandis que moi je faisais mes devoirs au fond du studio, ce bestiaire vivant et inquiétant que je venais de voir à Paris et celui qui reposait dompté dans ses vitrines. Adulte, avec mon mari et sans aucune aide institutionnelle, nous avons combattu le Diable Nitrate et restauré la plupart de ses films.

LBMS, Juin 2009, propos recceuillis par Elise Pernet

« Love in a sea of sorrow, is not sorrowful » 1 : Chop Shop de Ramin Bahrani

Second long métrage de Ramin Bahrani, américain d’origine iranienne, Chop Shop a pour point de départ un lieu, une immense casse située à la périphérie du Queens, le Triangle de Fer. Une communauté de gens souvent sans papiers y travaille, dans différents garages se faisant concurrence. Frappé par le potentiel photographique et dramatique de cet endroit, Ramin Bahrani a passé une année à l‘observer, à la recherche d’une histoire qui en découle naturellement. Pour le cinéaste, si Bunuel avait dû refaire Los Olvidados aux États-Unis et aujourd’hui, c’est dans Le Triangle de Fer qu’il l’aurait tourné. Bahrani se demande quels rêves on peut avoir dans un tel lieu, et qui sont les rêveurs.

C’est ainsi que naît le personnage d’Alejandro, un orphelin latino de 12 ans qui, rabatteur pour l’un des garagistes, fait venir sa sœur Isamar (16 ans) pour qu’elle travaille près de lui. « Ale » a un projet auquel il croit dur comme fer, réunir suffisamment d’argent pour acheter une camionnette, l’aménager pour y vendre de la nourriture, et sortir ainsi de la précarité. Plein de confiance, sachant ce qu’il veut et comment l’obtenir, le jeune adolescent ne néglige aucun effort pour atteindre son but, auquel il parvient à rallier sa sœur. Malgré des conditions de vie toujours difficiles, frère et sœur persévèrent, pleins d’amour l’un pour l’autre malgré des dissensions, refusant de se juger mutuellement. La force de vie des personnages les rend émouvants en même temps qu’elle insuffle au film une grande énergie.

Si Ale et Isamar existent intensément, cela est aussi dû aux méthodes de travail de Ramin Bahrani. Soucieux de faire un film proche de la réalité observée dans la casse, le cinéaste a choisi des adolescents qui n’avaient jamais joué (et qui ont gardé leurs noms à l’écran) : six mois avant le tournage, il a fait vivre Alejandro dans le garage, pour qu’il s’imprègne de la façon de vivre de ses habitants, qu’il apprenne à travailler comme eux. Pendant les nombreuses répétitions, filmées avec une caméra légère, le cinéaste a laissé les acteurs improviser, à l’intérieur d’un cadre défini, pour intégrer ensuite au scénario certaines de leurs propositions. Ces répétitions ont aussi permis aux habitants de la casse, considérant Alejandro comme l’un des leurs, de s’habituer à l’équipe réduite de tournage et de garder une spontanéité que le cinéaste désirait capter. La vitalité de Chop Shop et sa richesse sont ainsi entre autres dues à la porosité qui demeure entre fiction et documentaire. Nous sommes à la fois pris par un récit, émus par des personnages et fascinés par le rythme de vie particulier des habitants de cette zone du Queens, où se côtoient violence et solidarité communautaire. Pour que le rythme du film corresponde à celui de son protagoniste, Ramin Bahrani a filmé caméra à l’épaule, le mouvement ne s’arrêtant pas plus à l’écran que dans la vie des personnages qui, malgré déconvenues et déceptions, continuent, dans une très belle dernière scène, à aller de l’avant.

Marion Pasquier

1 / “Dans une mer de tristesse, l’amour n’est pas triste”. Poème persan de Rumi, souvent cité par Ramin Bahrani et son scénariste Bahareh Azimi.

Hypnose expérimentale

En écho à la programmation consacrée à l’hypnose dans le cinéma muet, Braquage propose une séance regroupant une dizaine de films expérimentaux questionnant cette question. Les films regroupés élaborent une proposition cherchant à présenter différentes approches de l’hypnose abordées par des cinéastes dont la préoccupation principale n’est plus de l’ordre du narratif, mais plutôt de la sensation. Le cinéma, fondamentalement, est un art qui se nourrit de ce phénomène : en sollicitant une attention particulière de la part des spectateurs, installés dans une dispositif propice à la vision, à l’apparition, à la perte de repères mettant en éveil notre « conscience optique » dont parlait le cinéaste Stan Brakhage. Le cinéma s’affirme comme un lieu de création de sensations hypnotiques. A travers des pratiques frôlant celles des arts plastiques et de l’abstraction, tout un pan du cinéma expérimental nourrit cette transformation de la représentation nécessaire à l’hypnose. La répétition, l’impact, l’intermittence sont travaillés dans leurs valeurs propres, et c’est bien à un voyage, au cœur des images et de notre caverne cérébrale que le spectateur est invité. En plus des approches abstraites de la création d’images, cette séance de courts métrages présentent aussi des films questionnant le réel et sa métamorphose. C’est bien le rapport à la transformation qui importe alors, et que le cinéma, naturellement, enrichit des ses capacités propres (par le montage, le déformation, la désynchronisation, la projection…). Ces films rappellent que le cinéma est avant tout histoire de variation, de scintillement, de perception.

Braquage, pour la troisième année présente au Festival International du Film de La Rochelle (après les séances «Western Revisited » puis « Stars »), regroupe des programmateurs proposant des séances de films expérimentaux. Conçues le plus souvent sous la forme de thématiques, nos programmations cherchent à présenter différentes approches du cinéma développées par les cinéastes expérimentaux. Nous imaginons la programmation comme un exercice de montage dans lequel il s’agit de considérer la façon dont chaque film présenté va interférer sur la réception globale de la séance par le spectateur.
Nous avons, depuis la création de Braquage en 2001, mis au point environ 300 séances dans différents types de lieux ou de manifestations (salles de cinéma, institutions, squats, galerie, cirques, concerts, festivals) un peu partout en France et à l’étranger. Braquage organise également des séances de performances cinématographiques, des rencontres artistiques, des ciné-concerts… Notre activité s’étend à l’animation d’un site Internet regroupant de nombreuses informations su le cinéma expérimental (www.braquage.org).

Sébastien Ronceray pour Braquage

Paroles d’un festivalier

Pourquoi venez vous au Festival International du Film de La Rochelle ?

A vrai dire, je viens au Festival depuis que j’habite La Rochelle, depuis trois ans environ. La première fois par curiosité, maintenant par plaisir. J’aime beaucoup ce mélange de « something old, something new ».

Que venez vous y voir ? Des films, des expositions ?

Des films bien sûr, c’est toujours un très vif plaisir de revoir les chefs d’oeuvre comme Les Visiteurs du soir, ou La Nuit du chasseur ou L’Ange bleu l’année dernière. J’ai aussi découvert ce mariage particulièrement réussi des films muets avec leur accompagnement musical. Je suis allée voir l’exposition des frères Prévert hier soir. Je voulais vous demander : il existe des visites guidées ?

Je poserai la question ! En trois ou quatre mots, le Festival de La Rochelle, pour vous c’est ?

C’est une très belle association entre une ville et un cinéma qui lui ressemble : « beau et rebelle » dans le sens où il n’est pas flatteur et oblige à une certaine ouverture….

Comment trouvez vous l’atmosphère ?

Très sympa. Qui rajeunit d’année en année, et c’est plutôt bon signe !

Avez vous des souhaits ou des remarques ?

Des souhaits ??? Faire venir encore plus de réalisateurs étrangers, peut être des débats, mais dans l’ensemble surtout ne changez rien !

Propos reccueillis par Aliénor Ballanger

Malais(i)e

Initiale. Sous l’impulsion des frères Lumière, l’art cinématographique est parti sur les routes pour s’installer hors de son berceau géographique, Lyon, et hors de France pour témoigner de la vie des communautés américaines, africaines et asiatiques. Traverser les océans, vers des contrées lointaines et mystérieuses, et en ramener la substance visuelle, voilà ce que le cinéma s’est fixé comme objectif (de voyage). En somme, la caméra est née avec l’étiquette autour du poignet : découvrir le monde. D’ailleurs, le  « cinéma » ne signifie-t-il pas étymologiquement« mouvement»?

Projection. Prune Engler, déléguée générale du Festival, ne cesse de le répéter : la sélection reflète la diversité de cette exploration du monde, de cet élan de tous les pays vers la création cinématographique et son enrichissement par de nouvelles formes. Par exemple, parmi les pays « de passage » cette année, il y a la Malaisie. Elle a posé ses valises pleines de brillantes photographies venues d’Orient, d’amphores lumineuses enfermant des images fortes sur l’état social du pays, des boîtes à surprises où le rêve peut, à tout moment, surgir.

Ailleurs. Ce cinéma se focalise sur l’autre. L’écart entre les différentes cultures – malaisienne, chinoise – pose problème. Flower in the pocket (Liew Sang Tat, 2006) soulève cette question du rapport à autrui en s’immisçant dans l’univers de l’enfance. Au coin de la rue se trouvent des enfants, Li Ah et Li Ohm, qui errent dans Kuala Lampur, sans autre désir que de voir le monde comme un immense terrain de jeu ; ils rencontrent Ayu, une fille avec qui le clivage culturel intervient sans pour autant rompre leur amitié naissante. Dans Before we fall in love again (James Lee, 2007), sur les routes s’aventurent le mari et l’amant, à la recherche de la femme qu’ils aiment. Ce sont des personnages souvent fragiles, parfois tragiques, flottants comme des poissons morts au-dessus d’une eau stagnante. La multiculturalité n’est pas un choix, ni une fatalité ; c’est un mode de vie assumé par tous, un mode ouvert sur l’échange, bien que toujours en tension.

Trouble. « J’ai une mauvaise habitude, c’est celle de regarder les gens », avouait Liew Sang Tat à l’issue de la projection de son film au Festival. Il est certes immoral de voir, difficile d’aller plus loin que l’apparence. Mais le nouveau cinéma de Malaisie, tout aussi farouche qu’immature, assume ce regard provocateur pour métamorphoser l’image en coup de force, faire des sens une arme politique face à la censure religieuse, et rendre au cinéma sa dimension politique essentielle.

Mathieu Lericq