L’Arrière-pays, La Chatte à deux têtes, Avant que j’oublie

Jean-Baptiste Morain, Les Inrockuptibles, 29 mai 2007

L’Arrière-pays fait partie de ces films dont on ressort plein de reconnaissance pour le réalisateur. Avec ce premier long métrage, Jacques Nolot reprend et poursuit le personnage de La Matiouëtte et de J’embrasse pas, réalisés par André Téchiné dont il était le scénariste… Nolot fait surgir chez le spectateur les émotions très intimes liées à l’enfance, les contradictions et les conflits des amours familiales, la tendresse nocive de la mémoire de ces premières années que l’on porte en soi. L’Arrière-pays est un film sur le silence, l’enfance, la disparition de ses parents, sur son propre positionnement vis-à-vis de son histoire et sur le désir de fuguer que l’on sent très prégnant ? Jacques étant sans cesse « empêché » de repartir. La caméra est à la fois le regard de Jacques sur les siens et l’observatrice de Jacques au sein de sa famille et du village. Dans ce portrait autobiographique, Nolot, qui a su trouver l’exacte distance avec lui-même, évite tous les pièges de la complaisance avec un talent remarquable. Tout se joue dans une retenue proche de la neutralité, la mort est là, massive au milieu d’eux tous, il n’est pas besoin de surjouer. Et c’est cette réserve douloureuse qui fait affluer une émotion violente chez le spectateur. On ressort profondément ébranlé et silencieux.

Les Inrockuptibles

La Chatte à deux têtes

Au départ ce devait être une nouvelle, une Lettre à Saïd, mon fils adoptif, une lettre qu’on écrit à un ami disparu pour se délivrer de ses propres angoisses, de ses propres souffrances… Puis j’ai pensé à une adaptation théâtrale dont j’ai parlé à Jean-Michel Ribes. Mais vu la difficulté ? réunir soixante figurants de nationalités différentes chaque soir dans une salle de cinéma porno ? on a laissé tomber. J’ai lu des extraits de cette pièce à Pauline Duhault, la productrice du Café de la plage de Benoît Graffin dont j’étais l’interprète. C’est elle qui a proposé d’en faire un film. Mais c’était trop court, cela faisait à peine une heure et pour moi c’était comme un tableau fini… je ne pouvais rien écrire de plus… En cours de tournage, j’ai improvisé des scènes et le film a atteint la durée d’un long métrage. Plusieurs sources ont nourri cette histoire. Il y a d’abord le souvenir de Saïd. Il y a aussi des questions liées à l’âge, aux désirs, aux frustrations, à mes amertumes… Je suis fasciné par les homosexuels qui se travestissent de façon grossière et de constater à quel point cette apparence de féminité leur permet d’avoir accès à des hommes hétérosexuels de toutes nationalités qui ont besoin de cette « féminité » pour assumer leur propre ambiguïté. C’est une histoire d’amour à trois, entre un homme d’une cinquantaine d’années que j’interprète, un jeune projectionniste qui arrive du Sud-Ouest et la caissière d’un cinéma porno. Je parle beaucoup de sexe… Peut-être que certains seront choqués… En tous cas, je pense que ça ne laissera personne indifférent…

Jacques Nolot

Avant que j’oublie

À 15 ans Jacques Nolot travaille dans une épicerie de son village… accusé de vol injustement, quitte son employeur… fait une saison à Lourdes dans un magasin de luxe… fort de ses gains, émancipé par ses parents monte à Paris à 16 ans… travaille chez Félix Potin… rencontre avec une femme riche qui lui apprend les bonnes manières… s’inscrit à un cours d’art dramatique qui fut son lycée… rencontre avec un homme qui fut un papa, une maman, une banque… joue au théâtre… tourne un peu… après une séparation au bord du suicide écrit La Matiouette, une pièce de théâtre tournée par André Téchiné… réalise un court métrage Manège… écrit J’embrasse pas tourné par André Téchiné… puis passe à la réalisation avec L’Arrière Pays sur les conseils d’Agnès Godard chef opérateur de Claire Denis… mort de son fils adoptif… écriture de La Chatte à 2 têtes… joue au théâtre… mort de son ami une relation vielle de 30 ans… en dépression écrit Avant que j’oublie… On retrouve toujours dans son écriture la continuation du même personnage à plusieurs étapes de sa vie… à la manière d’un peintre qui va au bout d’une période…

Jacques Nolot

Le chef d’oeuvre du jour, le film le plus fort, c’est Avant que j’oublie de Jacques Nolot. Là, on atteint des sommets, entre Eustache et Monteiro, de crudité, d’humour, et surtout de désespoir. Nolot, dans le rôle principal d’un vieux gigolo séropositif dépressif ne se ménage pas, ravage tout sur son passage, dit merde à la société, et à l’hypocrisie. Avec simplicité, une rage contenue et une grande dignité, il parvient à faire ce que seuls les plus grands peuvent saisir: réussir l’alliance entre la classe et le ridicule, la grande culture et le trivial, les sentiments les plus élevés et les tripes : sans jamais faillir ? Avant que j’oublie est un film très tenu.