Liv Ullmann – actrice et réalisatrice

Jan Erik Holst

Près de quatre décennies ont passé depuis que le public du monde entier découvrait la jeune actrice norvégienne dans Persona d’Ingmar Bergman en 1966. Une série de films du cinéaste, internationalement reconnus, conféra à Liv Ullmann un statut de star du nouveau cinéma d’auteur scandinave: L’Heure du loup (1968), La Honte (1968), Une passion (1969), Cris et chuchotements (1972), Scènes de la vie conjugale (1973), Face à face (1976) et enfin Sonate d’automne (1978), tous comptant parmi les chefs-d’oeuvre du cinéma européen. Liv Ullmann vécut quelques années avec Bergman – ils ont eu une fille, Linn – sur l’île de Fårö, au large de la côte suédoise en mer Baltique. Liv est donc née à Tokyo en 1938 de parents norvégiens. Elle a passé son enfance au Canada et à New York, avant que ses parents n’emménagent en Norvège, à Trondheim. En 1955, elle quitta l’école et partit à Londres étudier à la Webber Douglas School of Dramatic Art. En 1957, elle incarna Anne Frank au théâtre Rogaland, mais n’a jamais été admise à l’Académie norvégienne de théâtre. Elle fit ses débuts au cinéma en 1959 avec la réalisatrice norvégienne Edith Carlmar dans l’Échappée belle/ l’Indocile (Ung Flukt), se produisit au théâtre en Norvège et joua dans plusieurs films scandinaves avant de travailler, et de vivre, avec Ingmar Bergman.

Celui-ci décela dans la jeune actrice une aptitude à révéler les traumatismes incurables d’une âme féminine sensible et à exprimer des sentiments complexes de frustration en même temps que ses propres tourments. Malgré leur nature dramatique, les personnages qu’incarne Liv Ullmann, non seulement dans les films de Bergman mais aussi chez d’autres cinéastes de tout premier plan, donnent un sentiment d’harmonie apaisante grâce à sa beauté naturelle sans affectation, et ceci qu’elle interprète une intellectuelle ou une simple paysanne. On trouve la preuve de ses multiples talents dans des films tels que An-Magritt, du jeune réalisateur norvégien Arne Skouen en 1969, dans les Emigrants (1971), le Nouveau Monde (1972), réalisés par Jan Troell, ou dans Un pont trop loin (1977) de Richard Attenborough. Elle a tourné avec un autre cinéaste britannique, Anthony Harvey, dans The Abdication (1974), avec le cinéaste américain Daniel Petrie, avec les Italiens Mario Monicelli et Mauro Bolognini et avec les chef-opérateurs devenus réalisateurs Sven Nykvist et Vilmos Zsigmond. Quand Liv Ullmann entend dire qu’elle doit tout à Ingmar Bergman, elle fait souvent remarquer dans un sourire qu’elle a peutêtre contribué elle aussi à sa célébrité. Malheureusement, producteurs et réalisateurs norvégiens n’ont pas osé lui proposer de rôles après ces succès internationaux. C’est dommage car elle aurait adoré cela, et sa participation aurait considérablement aidé le cinéma norvégien des années 1970 et 1980.

Au théâtre, elle a interprété des personnages de Goethe, Strindberg, Ibsen et Pirande, pensée pour mieux se comprendre eux-mêmes. D’autres acteurs auraient puisé leur perception de la réalité dans les textes d’Ibsen, y auraient trouvé leur inspiration et leur pensée pour mieux se comprendre euxmêmes. À l’inverse, la capacité à pénétrer un rôle sans s’effacer, une sincérité de chaque instant, pourraient être une autre manière de caractériser Liv Ullmann. Elle l’a elle-même écrit : « Même lorsque je crois jouer un rôle, je ne peux pas complètement dissimuler ce que je suis. Quand le public s’identifie, ce n’est pas avec un personnage ou un acteur, mais avec une personne. Un visage rencontre un visage. Voilà ce que je sais des femmes. Voilà ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu. Voilà ce que je veux partager avec vous. »

Liv Ullmann fait preuve d’une impertinence manifeste lorsqu’elle est l’instrument d’un cinéaste. Elle parle résolument de « libération par le travail ». La paysanne Kristina dans les Emigrants et le Nouveau Monde ou la reine Christine dans The Abdication sont tout autant déterminées, et intéressantes. Son jeu perturbe aussi, surtout lorsque les yeux font mentir les paroles que la bouche prononce. Lorsque le visage, interrogateur, trahit le mensonge des mots. On voit souvent cela dans les films de Bergman, en particulier dans Scènes de la vie conjugale, où le visage de Liv Ullmann et son rôle se révèlent contradictoires. Ceci étant un parti pris de la mise en scène.

Liv Ullmann ne s’est pas contentée de faire preuve de talent face à la caméra ou sur scène en Europe et à Broadway. En 1976, elle a écrit un roman autobiographique, Devenir, qui a été traduit depuis dans plus de 25 langues. Son second livre, Tide, est sorti en 1984. Ambassadrice de l’Unicef depuis 1980, elle voyage et collecte des fonds pour lutter contre la faim et la pauvreté dans les régions les plus menacées du globe. À l’aune de cette carrière aux multiples facettes, on comprend que ce ne fut qu’une question de temps avant qu’elle ne se décide à écrire et à mettre en scène ses propres films. Elle fit ses débuts en 1992 avec Sofie, un film danois sur la bourgeoisie juive de Copenhague au début du XIXe siècle. Le film gagna une reconnaissance internationale et fut montré dans de nombreux festivals. Elle poursuivit trois ans plus tard avec une adaptation de la trilogie norvégienne Kristin Lavransdatter, une histoire qui se déroule au Moyen-Âge écrite par le prix Nobel Sigrid Undset. Le film fut un très grand succès en salles en Norvège. Elle réalisa les Confessions en 1996, puis Infidèle en 2000, sur deux scénarios d’Ingmar Bergman. Infidèle a été sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes, et l’année suivante, Liv Ullmann était invitée à présider le jury international.

Dans son livre remarquable The Role, l’un de ses plus chers confrères, l’acteur suédois Erland Josephson décrit ainsi le travail avec Liv Ullmann : « Liv est la plus drôle et la plus sérieuse des partenaires. Avec elle, on remonte aux origines du théâtre, qui était un mélange de jeu et de rites. Elle charge son arme et le metteur en scène, terrifié, essaye de diriger la salve dans la bonne direction. En 30 secondes, elle peut faire passer autant d’émotions que 30 pièces de Shakespeare. Elle dispense volontiers son savoir, son expérience, et se renouvelle sans cesse. »

Le président de la FIPRESCI, le grand critique du Guardian Derek Malcolm disait à la sortie de la première d’Infidèle : « C’est un film qui s’intéresse aux personnes plus qu’aux effets. Il n’essaye pas de tromper le public. Il est fait à l’ancienne mode européenne. Autrement dit, c’est le genre de films que l’on ne fait plus. On y trouve tout ce qu’on ne s’attend plus à voir aujourd’hui au cinéma. » C’est également vrai de ses autres films, ce qui explique peut-être leur succès dans les festivals et leur moindre réussite en salles. On n’y décèle pas la seule empreinte de Bergman; ses scénarios et sa photographie tiennent également de Wim Wenders, Theo Angelopoulos et István Szabó. Ses adaptations littéraires font penser à François Truffaut et à son univers épique, qui l’ont peut-être aussi influencée. Ses films affichent clairement leur propos social. Ils contrastent avec les idées et les valeurs du monde moderne. L’éthique et la religion font progresser l’intrigue. Le décor, l’image, la direction artistique et les dialogues soulignent et reflètent la mentalité de l’époque. La famille joue un rôle important dans tous ses films : les relations entre époux, entre parents et enfants, la succession des générations. Dans ses films, règne surtout l’AMOUR, un amour sincère et indéfectible qui unit les personnages.

Liv Ullmann a été nominée aux Oscars pour ses prestations dans les Emigrants et dans Face à face. Après son hommage à La Rochelle, elle ira au festival international du film de Karlovy Vary en République tchèque où lui sera remis un prix pour sa contribution artistique exceptionnelle au cinéma mondial.

Oslo, le 17 mai 2005

Traduction Judith Revault d’Allonnes