Tian Zhuang-zhuang

Xu Feng

Le festival présente 7 films réalisés par Tian Zhuang-zhuang et 3 films qu’il a produit.

Même si ses trois derniers films sont sortis en France, Tian Zhuang-zhuang, comparativement à Chen Kaige et Zhang Yimou, deux autres cinéastes chinois de la cinquième génération, est encore le moins reconnu des cinéphiles français. Les raisons en sont compliquées, mais s’expliquent un peu grâce aux films que l’on découvrira ici.

Il est né à Pékin en 1952 dans une famille de cinéastes de grande renommée. Tian Fang, son père, fut l’un des fondateurs du cinéma de la Chine Populaire et Yu Lan, sa mère, l’une des actrices les plus célèbres qui a interprété les héroïnes remarquables de l’époque. Étant trop proche du milieu de cinéma, il n’avait jamais eu envie de devenir cinéaste. Mais la magie cinématographique restait inconsciemment au fond de son expérience. Il admire toujours Shui Hua, le cinéaste chinois le plus intellectuel de la troisième génération, qui dirigea souvent sa mère, et qui réussit à atteindre l’instant le plus poétique et profond du cinéma chinois de cette période.

Pourtant, ses meilleures années furent aussi des années fragiles ; ce fabuleux milieu était surtout un milieu périlleux. L’été de l’année 1966 marqua la fin de l’âge d’or de l’enfance comme en témoignent ses parents honnêtes, punis par les Gardes Rouges, son meilleur ami – un homme d’âge mûr, suicidé en tant qu’"ennemi du peuple" – et "les pères", les premiers à être tombés pour la Révolution Culturelle… L’enfant qui aimait rêver sur le toit de sa maison est alors devenu un adolescent sans toit. Trois ans plus tard, jeune lycéen, il quitte Pékin pour la province de Jilin. Ensuite, il devient un soldat spécialisé dans la photographie. Dans ce mouvement "monter à la montagne et descendre à la campagne", le grand Nord lui donne une force immense sans pourtant faire disparaître sa sensibilité qui deviendra plus profonde encore.

Quand il entre à l’Académie du Cinéma de Pékin en 1978 (deux ans après la fin de la Révolution Culturelle) en réalisation, il a déjà cinq ans d’expérience en tant que photographe. Il progresse en se consacrant à l’écriture de scénarios et à la réalisation. S’ouvrant soudainement au cinéma mondial, du Néo-Réalisme italien à la Nouvelle Vague française, comme tous ses camarades, il dévore les films étrangers et s’intéresse à la discussion théorique.
Son professeur Zhang Nuanxin, une des cinéastes de la quatrième génération, écrira un article sur "La modernisation du langage cinématographique" et pratiquera le réalisme documentaire inspiré d’André Bazin ainsi que la notion d’auteur dans son premier film, Sha Ou (1981). Admirant ce film, Tian Zhuang-zhuang s’entretiendra avec elle sur la manière de filmer et de diriger des interprètes non-professionnels. Il progresse alors un peu plus dans son oeuvre.

A cette époque, il devient le centre de son groupe en réalisant deux moyens métrages. Avec plusieurs amis, il co-réalise d’abord en vidéo Notre coin, une histoire entre une jeune fille et trois jeunes hommes handicapés, d’après une nouvelle du romancier Shi Tiesheng. C’est la première fois qu’il dirige des acteurs non-professionnels. Commencé pendant l’été 1980 et terminé en janvier 1981, ce premier ouvrage de leur groupe est refusé par la télévision à cause de sa trop grande tristesse, mais constitue cependant un choc pour toute l’Académie. Tourné en 35mm, co-réalisé avec Xie Xiaojing et Cui Xiaoqin, La cour est presque le meilleur film du début de la cinquième génération, mais complètement différent de son image actuelle. Adapté d’un conte de la romancière Wang Anyi, le film présente avec calme et sensibilité la vie quotidienne du milieu artistique. Accompagné par la voix-off du rôle principal féminin, le récit est constitué de plusieurs épisodes. L’image en noir et blanc de Zhang Yimou, Hou Yong, Zhang Huijun et autres opérateurs, constitue une bonne combinaison des cadres, des mouvements, des plans séquence et de l’effet de la lumière naturelle où réalisme documentaire et réalisme esthétique se mêlent. Du fait qu’il marque le début de la cinquième génération, ce film est encore assez proche de l’idéal de la précédente, et se situe donc encore entre le Néo-Réalisme et la Nouvelle Vague.

Bien que sous contrat avec les grands studios de Pékin, il réalise ses films suivants avec de petits studios car, dit-il, "les studios de Pékin ne veulent pas nous laisser réaliser, bien que nous leur soyons attachés". Il co-réalise L’Éléphant Rouge avec Zhang Jianya et Xie Xiaojing pour le Studio des Enfants. A sa sortie de l’Académie du Cinéma, il réalise Septembre pour Le studio de Kunming. "La Nouvelle Vague (française) m’a marqué", commente Tian Zhuang-zhuang. C’est une des raisons pour lesquelles il tourne La Loi du terrain de chasse pour le studio de Mongolie intérieure et réalise ensuite Le Voleur de chevaux pour le studio de Xi’an. Ces deux chef-d’oeuvres sur les ethnies minoritaires chinoises font la preuve de son talent au monde entier. Tourné en 1984 et interprété par des acteurs non-professionnels, La Loi du terrain de chasse est un film semi-ethnographique sur la vie des chasseurs mongols.
Son style documentaire est plus radical, c’est un "super-réalisme" (Régis Bergeron) qui n’est jamais apparu dans le cinéma chinois auparavant, ni dans sa propre génération.

Sous l’influence de Un et Huit (1984) de Terre Jaune (1985) qui connaissent un grand succès critique, Le Voleur de chevaux nous paraît être la rencontre entre son style personnel et le style du groupe Zhang Junzhao/Chen Kaige/Zhang Yimou. C’est donc une rencontre entre un style plasticien et symbolique et le style documentaire. Voilà un "Film Pur" dans lequel l’image-mouvement-rythme-temps représente la Photogénie (Louis Deluc), dans un langage poétique richement fondé. Symboliquement, comme tous les films de la cinquième génération d’alors, la Révolution Culturelle est toujours présente malgré son absence. Comme Tian le dit : "La Loi du terrain de chasse et Le Voleur de chevaux concernent des ethnies minoritaires, mais ils parlent en fait du destin de toute la Chine". Dans La Loi du terrain de chasse, la scène de la chasse cruelle est la mémoire transformée de la Révolution Culturelle ainsi que la métaphore du Voleur de chevaux. Situant cette histoire Tibétaine en 1923 pour déjouer la censure, il construit une fable sur "la Religion et l’Humanité" : "j’ai en fait un complexe de la Révolution Culturelle et beaucoup ont envie de comprendre le sens de la religion. Pourquoi les hommes sont-ils fascinés par la religion, qu’est-ce que la religion ? Pourquoi vivons-nous ? Avant, on était fasciné par la politique ; maintenant, on est fasciné par l’argent. Je l’ai compris au moment du tournage."

La religion de l’argent est déjà là, peut-être depuis toujours.

Ces deux films "pour les spectateurs du xxie siècle" (Tian), de même que la plupart de ceux de la cinquième génération, ne rencontrent pas la faveur du public. De plus, Tian Zhuang-zhuang affronte une situation plus dure que ses collègues. Le studio de Mongolie intérieure a vendu directement La Loi du terrain de chasse à CCTV (Chinese Central Television) et n’a vendu que quatre copies du Voleur de chevaux. En 1986, alors que Chen Kaige et Zhang Yimou tournent à peu près ce qu’ils veulent, Tian est déçu que "certaines aspirations des années 83-84 soient déjà en voie d’extinction." Sous la pression économique, il réalise trois films : Le Chanteur de ballade, Le jeune danseur de Rock, La vie illégale. Interprété par Tao Jin, le danseur chinois le plus populaire, Le Jeune danseur de Rock obtient un grand succès commercial, mais le réalisateur ne l’a jamais aimé. En 1990, politiquement et esthétiquement, le cinéaste a le sentiment de courir à sa perte. Jiang Wen et Liu Xiaoqing, deux acteurs chinois les plus connus des années quatre-vingt proposent à Tian Zhuang-zhuang de réaliser L’Eunuque impérial Li Lianying. C’est une production importante (co-produite avec Hong Kong). Encouragé par ces deux acteurs qui l’interprètent magnifiquement, il réalise l’un des meilleurs films historiques chinois dans lequel la vie intime, complexe et émouvante, de l’eunuque impérial et de l’Impératrice douairière Cixi sont au premier plan. Pourtant la grande histoire est présente dans la vie quotidienne de chaque personnage. Ce film marque donc le retour à sa première période. Comme le dit Tian : "j’aime faire des films réalistes, que je considère proches des vérités quotidiennes…" (Positif, mars 1994). Le tournage du Cerf-volant bleu commence aussitôt après celui de L’Eunuque impérial.

Le Cerf-volant bleu raconte l’histoire de la Chine populaire à travers un mélodrame familial : Une femme se marie trois fois, mais ses trois maris successifs sont tour à tour victimes des grands mouvements politiques de 1957 à 1976 : la lutte contre la "Droite", le "Grand Bond en avant" et "la Révolution Culturelle". Dans le contexte du succès énorme de la cinquième génération dans les festivals occidentaux, ce film est de la même lignée que Adieu, ma concubine (1993) de Chen Kaige et Vivre (1994) de Zhang Yimou, mais plus ancré dans le quotidien. Il est commenté par la voix-off d’un petit garçon : Tie Tou. Inscrivant le drame individuel dans le drame historique, Tian Zhuang-zhuang transpose enfin directement son traumatisme personnel à l’écran. En septembre 1992, participant au Festival du Film de Tokyo comme Le Cerf-volant bleu film de Hongkong gagne le grand prix et celui de la meilleure actrice (Lu Liping). Après ce succès, la sanction du ministère de la radio, du cinéma et de la télévision tombe : Tian Zhuang-zhuang est désormais interdit de tournage pour avoir présenté son film à Tokyo sans autorisation officielle. Cette interdiction est annulée par le ministère au début 1995, mais le cinéaste ne peut pour autant se remettre à tourner tout de suite, à cause d’ennuis politiques et économiques.

à la place, il commence à produire les films de cinéastes chinois plus jeunes, ceux de la "sixième génération". à partir de In expectation (1995) de Zhang Ming, il produit huit films, dont So close the Paradise de Wang Xiaoshuai, Fabrication de l’acier de Lu Xuechang dans lequel il joue également un rôle. Il joue aussi dans son avant-dernière production, Au sud des nuages de Zhu Wen. Passages, sa dernière production, réalisée par Yang Chao est sélectionnée au Festival de Cannes dans "Un certain regard" en 2004. Partageant beaucoup des difficultés des jeunes cinéastes, Tian joue le rôle du frère aîné dans le cinéma chinois d’aujourd’hui.

En 2000, regardant Le Printemps dans une petite ville de Fei Mu, l’un des plus beaux films de toute l’histoire du cinéma chinois, Tian Zhuang-zhuang est soudainement bouleversé en s’apercevant que le nouveau siècle se substitue à l’ancien. Il a très envie d’en réaliser une nouvelle version, pour retoucher le monde de Fei Mu : Dans une petite ville, le printemps arrive avec l’amour et la confusion… Réunissant ses amis, il parvient donc à tourner un nouveau film après 9 ans de silence. Li Shaohong, la réalisatrice célèbre de leur génération, monte une production de 500 000 euros, modeste mais précieuse ; Écrit par Ah Cheng, l’un des plus grands écrivains chinois contemporains, le scénario se modifie en profondeur. Tian Zhuang-zhuang apprend la leçon de Fei Mu en même temps qu’il construit son oeuvre propre. Il supprime le monologue du rôle principal féminin pour rester à distance et change la saison pour un printemps précoce où l’on doit encore attendre le beau temps.

Cette attente, est aussi celle du cinéaste qui rassemble pour Sur la route ancienne du thé et du cheval : Delamu, une équipe d’une vingtaine de personnes, lesquelles découvrent une route ancienne entre la Chine et l’Asie de l’ouest. Ce nouveau documentaire est aussi un retour au thème de la minorité. Un peu plus tard, Tian Zhuang-zhuang partira au Japon pour le tournage d’un nouveau film sur la vie de Wu Qinyan, un maître chinois du jeu de go… C’est à travers ces allers-retours constants que se dessine le long chemin du cinéma chinois, centenaire et plein d’avenir.