Éloge de Mariko Okada

Saburô Kawamoto

Mariko Okada est belle quand elle est en colère. Il ne s’agit pas d’un sentiment impulsif, mais plutôt d’une colère intellectuelle, inspirée par la révolte. Une colère contre le monde féodal qui l’entoure, la faiblesse des hommes, et son propre destin. Les différentes héroïnes

qu’elle incarne sont le plus souvent indépendantes et fières. C’est pourquoi elles se heurtent souvent à leur entourage, et parfois, se battent sauvagement à la recherche d’un moi encore plus élevé.

Dans Eros + Massacre, réalisé par Kijû Yoshida, Mariko Okada incarne Noé Itô, une anarchiste passionnée, bien connue de l’histoire japonaise contemporaine. Dans le film, son mari Jun Tsuji (Etsushi Takahashi) lui dit qu’elle ressemble à un cheval fougueux ou à quelqu’un qui se dresse contre le vent, et ces deux images lui conviennent parfaitement.

Ses personnages ne ressemblent pas aux femmes représentées jusqu’à présent dans le cinéma japonais. Ce ne sont ni des épouses réservées se tenant en retrait de leur mari, ni des femmes qui subissent ou se reposent sur leur époux. Ce sont des femmes qui accordent de l’importance à leur propre personne. C’est ainsi qu’elles échouent parfois dans leur combat ou se suicident. S’il lui arrive d’interpréter des rôles de japonaise traditionnelle, alors elle ne sacrifie jamais à l’homme sa propre personnalité, ni sa force de caractère qui ne lui fait pas craindre d’être indépendante.

Lorsque Mariko Okada a fait son apparition dans le monde du cinéma japonais d’après-guerre, elle a incarné, dans toute sa fraîcheur, l’image d’une jeune femme moderne toute nouvelle. Toujours lumineuse et vive, elle a un jugement clair et une forte volonté qui la poussent à vouloir une vie différente de celle que les Japonaises ont pu connaître auparavant. Résolument contre l’injustice et l’inégalité, elle est en cela parfaitement semblable à ses contemporaines qui ont bénéficié de l’éducation démocratique de l’après-guerre.

Dans Fin d’automne de Yasujirô Ozu, Mariko Okada interprète avec beaucoup de vivacité une de ces jeunes femmes modernes face au personnage de Yuko Tsukasa qui semble d’un autre temps. En apprenant que son entourage cherche à remarier Setsuko Hara sans se soucier de son avis, elle cède à la colère et va protester auprès de ses « oncles ». Ne se laissant pas intimider par les adultes, elle leur expose son point de vue : son visage qui exprime la colère est alors beau et charmant. Plus loin, dans la scène où, avec beaucoup de finesse, elle entraîne ses « oncles » au restaurant de sushis tenu par sa famille, elle joue merveilleusement bien la comédie.

Toujours dirigée par Yasujirô Ozu, dans Le goût du saké, elle joue le rôle d’une jeune fille pétillante, mariée à Keiji Sada. Là encore, elle n’incarne pas une épouse traditionnelle au comportement réservé, mais une femme qui travaille, dans une relation d’égalité avec son mari. Elle représente ainsi une manière de vivre nouvelle pour l’époque, basée sur le travail de l’homme et de la femme. Comme la colère, l’originalité lui convient bien.

Dans La saison des mauvaises femmes de Minoru Shibuya, ce côté « femme moderne » est montré de façon grotesque, presque caricaturale. Sur le ton de la comédie, Mariko Okada joue le rôle d’une femme cupide, face à Isuzu Yamada, la grande actrice d’avant-guerre. Une actrice traditionnelle aurait été incapable d’interpréter ce rôle, tandis qu’elle, malgré ses mauvaises actions, parvient à composer un personnage plein de charme. Ce film a valu à Mariko Okada le prix d’interprétation féminine au Japon.

Dans Une vie de femme, elle est la jeune héritière d’une pâtisserie traditionnelle de Kyôto. Au départ, la jeune fille trouve dépassée une fabrique de gâteaux traditionnels, mais petit à petit, elle réalise ce qu’il y a de bien dans la tradition. Sa silhouette de femme moderne, en pull rouge et pantalon, reste inoubliable. Grâce à sa volonté, elle réussit à faire revivre la tradition toute en la modernisant. Amoureuse d’un homme marié et père de famille, elle en est obsédée au point de tracer du doigt sur la vitre d’un train ces mots : « reviens vite ». Mais à la fin, dans un geste de modernité qui la caractérise, elle renonce à son amour pour se consacrer à son travail.

Dans La danse d’une femme où elle joue le rôle d’une danseuse traditionnelle japonaise, elle brave encore l’opposition de son entourage en tombant amoureuse d’un célèbre maître de théâtre nô (Keiji Sada). A la fin, la danse qu’elle interprète, intitulée « kijô », est l’expression violente de la « folie d’une femme sous l’emprise des flammes de la jalousie ». Une passion insoupçonnée surgit alors au travers de la forme éminemment stylisée d’une danse ancienne.

Mais c’est sans doute dans La source thermale d’Akitsu de Kijû Yoshida et Le parfum de l’encens de Keisuke Kinoshita que s’épanouit tout le charme de cette « violence qui couve sous le calme » propre à Mariko Okada. Dans ces deux films, dont on peut dire qu’ils sont les plus représentatifs de sa personnalité, elle déploie tous ses talents d’actrice « belle quand elle est en colère ».

Dans La source thermale d’Akitsu, Mariko Okada est la fille de l’auberge d’une source thermale située dans la montagne. Vers la fin de la guerre, elle tombe amoureuse d’un étudiant (Hiroyuki Nagato), tuberculeux, venu s’y réfugier pour fuir les combats. Les bombardements font rage et dans cette situation extrême, les jeunes gens se laissent emporter par la passion. Mais les choses changent quand, à la fin de la guerre, la paix s’installe à nouveau. La pénicilline, introduite par l’armée américaine, soigne la tuberculose. Certain de vivre, dans ce contexte de l’après-guerre, l’homme se laisse peu à peu aller. Lui dont le rêve était de devenir artiste, devient cynique et paresseux. Désespérée, la jeune femme se suicide en se coupant les veines.

La guerre et la paix, l’exceptionnel et l’ordinaire, l’art et la vie. Dans ce flot de contradictions, la femme choisit résolument la tension et, tournant le dos à la paix, marche vers la mort. Ce film témoigne aussi du choix d’un artiste qui, oubliant les malheurs et les souffrances de la guerre, oppose un « non » catégorique aux Japonais glorifiant la paix. Mais Mariko Okada n’est pas victime d’un chagrin d’amour : si elle choisit la mort, c’est pour aller vers quelque chose de plus beau. Comme Noé Itô, elle meurt telle un oiseau qui s’envole porté par le vent. La mort n’est pas une défaite, mais la fidélité a un idéal.

Dans ce film, il est rare de voir sourire Mariko Okada. Elle affiche toujours un air décidé et sa silhouette est fière lorsqu’elle porte le kimono, la ceinture fortement serrée. Tout en elle rejette en silence cette période de l’après-guerre ainsi que l’homme qui ne perçoit plus la tension de la vie. La beauté de cette héroïne qui se tient au-dessus des affaires du monde est écrasante. Elle se confond alors avec l’héroïne du Parfum de l’encens, en une silhouette aussi résolue que celle de Scarlett dans « Autant en emporte le vent« .

Dans Le parfum de l’encens, la patronne (Haruko Sugimura) de la maison de geishas lui dit : « Tu peux être infidèle. Mais le problème avec toi, c’est que tu tombes vraiment amoureuse ». C’est vrai, Mariko Okada est incapable d’être infidèle. Quand elle tombe amoureuse, c’est du plus profond de son être. C’est pour cette raison qu’elle est si belle quand elle est en colère.

Saburô Kawamoto est critique de cinéma. Texte traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle.