Pandelis Voulgaris

Vorgos Bramos et Michel Démopoulos

Pandelis Voulgaris appartient à cette génération de réalisateurs qui a contribué à la renaissance radicale du cinéma grec. Avec Theo Angelopoulos, Nicos Panayopoulos, Kostas Ferris, Tonia Marketaki et quelques autres, il fait partie d’un courant qui émerge en pleine dictature militaire et prend rapidement le nom de Nouveau Cinéma Grec.

Contrairement à ses confrères qui firent des études à Paris, l’éducation cinématographique de Voulgaris se constitue au contact de la production commerciale dominante. Après son passage par l’école de cinéma de Stavrakos, il travaille comme assistant sur de nombreux films aux studios de la Finos Film, la plus prolifique et la mieux structurée des maisons de production des années soixante.

Pourtant, dès ses premiers court-métrages, Le Voleur (1965) et Jimmy le tigre (1966), il se démarque des exigences thématiques et esthétiques de la production standardisée. Ayant recours à un style sobre et direct où il met à profit les enseignements du cinéma-vérité et du néo-réalisme italien, Voulgaris raconte des histoires de pauvres diables et se penche sur une humanité modeste et en pleine mutation.

Son premier long-métrage, Les Fiançailles d’Anna, est réalisé en 1972, en pleine dictature. C’est le portrait bouleversant de la servante d’une famille petite-bourgeoise athénienne, dont on décide un beau jour de célébrer les fiançailles sans même lui demander son avis. Elle subit, muette et soumise, les effets d’une oppression sociale, feutrée mais radicale. La mise en scène de Voulgaris se situe à hauteur d’homme dans un monde anthropocentriste, il dépeint les rituels petit-bourgeois de la vie quotidienne et suggère avec retenue le poids de l’échec dans le regard triste d’Anna Vagena. Dans Les Grandes chansons d’amour, tourné un an plus tard, Voulgaris met toute sa sensibilité picturale au service d’un cycle de chansons sous forme d’ode lyrique (qui porte le même titre), œuvre du grand compositeur grec Manos Hadjidakis. Le résultat exceptionnel, à la fois poétique et symbolique, préfigure les recherches les plus sophistiquées des vidéos musicales.

Après le renversement de Papadopoulos et les événements de l’École Polytechnique, le général Ioannidés inaugure une nouvel ère de répression. Pandelis Voulgaris est déporté pendant plus de six mois sur une île pelée de l’Égée, Yaros. A la chute de la junte, Voulgaris est libéré. Il réalise en 1976 son œuvre majeure Happy Day, basé sur le roman d’Andréas Franghias, qui retrace la vie des détenus politiques à l’île de Makronissos, peu après la guerre civile grecque. Premier film de fiction, tourné en Grèce, à traiter le thème des camps de concentration – ces îles du martyre où le pouvoir internait les dissidents idéologiques – Happy Day souleva au moment de sa sortie une vaste polémique. La gauche traditionnelle, soucieuse de préserver la mythologie héroïque de ces “sanctuaires” pour lesquels elle avait payé un lourd tribu en sang, déclara le film irrecevable, méconnaissant profondément l’abstraction poétique et l’ironie sous-jacente de cette allégorie atypique sur l’univers concentrationnaire.

Comme pour rectifier le tir, Pandelis Voulgaris entreprend en 1979 une biographie convenue sur Elefthérios Vénizelos, le fondateur de la Grèce du 20ème siècle. Marqué par cet échec, il se tourne vers le théâtre et la télévision avant de réaliser, en 1985, Les Années de pierre. Le film suit le parcours authentique d’un couple de militants de gauche depuis l’époque de l’après-guerre civile jusqu’à la chute de la dictature, années de prison, d’exil et de déportation, entrecoupées de courts intervalles de vie commune. Confronté une nouvelle fois à l’Histoire, Voulgaris l’humaniste choisit la voie du mélodrame politique mais sans le sentimentalisme inhérent au genre. Son regard tendre et plein d’émotion s’attache surtout à la petite histoire de ses personnages.

Fort du succès critique et public de ce dernier film, il va tenter avec le Buteur numéro 9 (1988) de montrer l’ascension et la chute d’un héros populaire d’aujourd’hui, d’un joueur de foot. Mais il ne parvient pas à approfondir le personnage qui reste superficiel et cahotique, piégé par une mise en scène plane et une esthétique télévisuelle.

Dans Jours tranquilles au mois d’août (1991), Pandelis Voulgaris retrouve toute sa sensibilité pour décrire les rencontres d’hommes et de femmes unis par la solitude dans une Athènes dépeuplée et supportable. Ces nostalgiques d’une autre époque et d’une autre ville qui n’aurait pas subi les assauts de l’urbanisation télescopent en tremblant leurs désirs inavoués et leur soif de contacts voire même de caresses, dans la chaleur moite des fins d’après-midi d’été.

Moins styliste qu’Angelopoulos, moins cinéphile que Panayotopoulos, moins cérébral que Nikolaïdis, moins poète que Damianos, Pandelis Voulgaris est sans aucun doute l’un des cinéastes grecs les plus attachés à la réalité de son pays, celle d’aujourd’hui comme celle d’hier, il est aussi celui qui est le plus sensible aux mœurs du petit monde qu’il connaît et qu’il aime.