Aspects du cinéma québécois

Daniel Sauvaget

Situation du cinéma autrichien
Ils sont autrichiens, mais on ne le sait pas suffisamment : Maximilian Schell, auteur célèbre mais aussi producteur et metteur en scène de cinéma, Herbert Vesely, un des pionniers du cinéma d’auteur en Allemagne fédérale, Xaver Schwarzenberger, un des plus grands directeurs de la photographie européens. Ils sont les compatriotes de quel-ques grands anciens : Pabst, von Sternberg, Fritz Lang, Preminger, Joe May, Billy Wil-der, Fred Zinnemann. Et encore Luis Tren-ker, Romy Schneider, Maria Schell (soeur de Maximilian), Fritz Kortner, Oskar Werner, Nadja Tiller, Helmut Berger… La fameuse exposition de Beaubourg Vienne 1880-1938 a eu, entre autres mérites, celui d’avoir révélé au public français au-delà d’une histoire, d’un esprit, la nationalité exacte de quelques grands noms des lettres et de l’écran. Beaucoup parmi ceux-ci ont eu un statut d’émigré. Souvent, dans les années 1930, pour des raisons politiques. Mais pour ce qui concerne le cinéma, il pouvait s’agir de simples raisons économiques ou d’un souci de reconnaissance internationale. Avant Hitler, la puissance et le prestige des studios de Berlin ont attiré des personnali-tés qui avaient travaillé pour les écrans ou le théâtre à Vienne : G.W. Pabst, le produc-teur Erich Pommer, Otto Preminger, Wil-helm Thiele, Edgar G. Ulmer. Au demeurant c’est à Berlin qu’ont débuté Joe May, Fritz Lang, Fred Zinnemann, Billy Wilder, tous quatre nés à Vienne. Pour tous ces hommes de cinéma l’émigration vers l’Allemagne n’était que le prélude à une autre émigration qui sauf dans le cas de Pabst, se prolonge en direction d’Hollywood. On peut donc se demander si la célébrité et l’audience internationale n’ont pas été néces-sairement liés à ce statut d’émigré. A ceux qui restaient sur place semblait devoir être confiée la simple tâche d’amuseur, de pré-férence dans la tradition superficielle de la viennoiserie musicale : Willi Forst en a été après 1933 l’artisan le plus brillant. Dans un contexte politique différent, entre 1950 et 1970, la même observation pouvait être faite. Les plus grands acteurs tournaient à l’étran-ger, quelques réalisateurs obstinés faisaient le va et vient entre l’Allemagne et l’Autriche, et ceux qui restaient au pays acceptaient bon gré mal gré les règles banales d’une très ordi-naire production commerciale. Willi Forst, alors en fin de carrière, Franz Antel, ou l’illustre Ernest Marischka (responsable de la série Sissi impératrice) ont représenté le cinéma autrichien de cette époque. Echap-paient toutefois à ce destin commun quelques pionniers du cinéma expérimental, tels que Peter Kubelka, très connu depuis comme directeur de la Cinémathèque de Vienne, Ferry Radax ou Herbert Vesely. La trajectoire de ce dernier est tout à fait significative. Né à Vienne en 1931 il a réa-lisé de 1951 à 1960 une douzaine de films expérimentaux et de courts métrages avant d’adapter, en Allemagne fédérale, le livre d’Heinrich 13611 le Pain des jeunes années (Das Brot der frühen Jahre, 1962) qui est le premier long métrage du jeune cinéma alle-mand. C’est ensuite la télévision qui l’acca-pare et il ne reviendra au cinéma qu’à titre exceptionnel. On lui doit une variation baro-que sur la vie du peintre Egon Schiele : Egon Schiele, enfer et passion (Egon Schiele – Exzess und Bestrafung, 1979). D’autres Autrichiens, au même titre que plusieurs Suisses germanophones ont apporté leur con-tribution au développement du jeune cinéma allemand, comme Alf Brustellin (1940-1981), arrivé à Munich en 1964, critique, chef-opérateur puis réalisateur, ou les « berli-nois » Elfi Mikesh et Wolfgang Tumler. Ou encore Maximilian Schell, adaptateur d’un roman de Joseph Roth à l’écran (Trotta de Johannes Schaaf, 1971), et passé à la réali-sation à Munich dès 1970. Ses trois premiers films en tant que metteur en scène ont été tournés en Allemagne mais c’est à Vienne qu’il réalise son quatrième, d’après la célè-bre pièce de théâtre d’Ôdon von Horvath Histoires de la forêt viennoise (Geschichten aus dem Wiener Wald, 1979). Quant à Xaver Schwarzenberger (né à Vienne en 1946), chef opérateur de Berlin Alexanderplatz et des quatre derniers longs métrages de Fassbin-der, il a quitté la télévision autrichienne pour Munich en 1978 où il signera ses premiers films en tant que réalisateur.

Une Renaissance
Il était sans doute inévitable que l’attraction du grand voisin s’exerce sur les cinéastes autrichiens. Le marché des films des deux pays est plus ou moins homogène et le jeune cinéma d’Allemagne fédérale tentait vers 1970 de sortir de la crise en privilégiant l’expression d’auteur. Le cinéma autrichien, durement touché par le déclin de la fréquen-tation et de l’exploitation, voyait en 1970/1973 sa production chuter jusqu’à ne présenter que trois ou quatre films par an au lieu d’une trentaine vers 1955. C’est le triste constat qui a convaincu le gouvernement social-démocrate de créer à partir de 1973 un système d’aide au cinéma dont l’efficacité se mesure pleinement depuis 1981-1982. Les cinéastes eux-mêmes avaient mis en place divers modes d’auto-organisation, en parti-culier sous forme de coopératives. Ces grou-pements sont toujours très actifs, ainsi les coopératives animées par Hans Scheugl (Austria Fimmakers Coopérative) et Michael Bilic (Osterreichische Kinocooperative, à Salzburg), auxquelles il faut ajouter l’Asso-ciation des réalisateurs présidée par Ernst Josef Lauscher. A l’origine les groupements de cinéastes étaient très orientés vers le cinéma expéri-mental et vers le film d’intervention politi-que et sociale. Ceux que tentaient le long métrage de fiction devaient résoudre d’immenses difficultés. Ainsi Jôrg Eggers, un Allemand établi à Vienne où il fut d’abord acteur et metteur en scène de théâtre, auteur d’une oeuvre échappant à toute compromis-sion, a-t-il dû consacrer cinq années à l’éla-boration de son film sur les handicapés Je veux vivre (Ich will leben, 1976) malgré le succès d’estime de son filin précédent : le Dernier joueur d’orgue de barbarie (Der letzte Werkelman, 1971). Parmi les pionniers de ce cinéma d’auteur, plusieurs présentent la particularité d’être des immigrés : John Cook, né au Canada en 1935, établi à Vienne en 1968 ; Mansur Madavi, Arménien originaire d’Iran ; Robert Dornhelm, né en Bulgarie ; Antonin Lepe-niotis né à Athènes en 1932, à Vienne depuis 1957. Les premiers films de John Cook la Lenteur de l’été (Langsammer Sommer, 1976, tourné à l’origine en Super 8) et l’Etuve (Schwitz-kasten, 1978) sont représentatifs des débuts du mouvement des années 1970. Le réalisme et une forme d’humour amère et ironique contribuent à une approche fondée en pre-mier lieu sur une volonté de critique sociale. Une démarche analogue a été appliquée à certaines questions plus ouvertement politi-ques. Ainsi Peter Patzak, dont le premier film, la Licorne (Das Einhorn, 1977) était tiré d’un roman quelque peu dérangeant de Mar-tin Walser, évoque dans Kassbach (1978), la résurgence du fascisme et l’activité des grou-pes néo-nazis. Il décrit la situation d’un petit bourgeois qui pense ainsi pouvoir dépasser ses insatisfactions psychologiques et socia-les. L’Elève Gerber (Der Schiller Gerber, 1981) de Wolfgang Gluck débusque des com-portements fascisant dans l’expérience lycéenne. Une des articulations essentielles de Schmutz, premier film de Paulus Man-ker (1985) est dans le portrait d’un jusqu’au-boutiste de la Sécurité. A la fois plus pro-fond et moins réaliste que Kassbach il nous montre un vigile qui ne peut admettre que sa mission sacrée, la surveillance, puisse être interrompue pour de quelconques raisons contractuelles ou à cause de nouveaux pro-jets d’urbanisme. L’engagement par rapport au passé récent, et tout particulièrement à la période nazie, constitue elle aussi une des sources de la revi-talisation du cinéma autrichien. Operation Hydra (Antonin Lepeniotis, 1977) évoque une famille d’industriels qui profite, sans fanatisme certes, mais en bon ordre, de l’Etat nazi et de l’état de guerre. Histoires de la Forêt viennoise de Maximilian Schell (1979) insiste sur un décor historique et social qui est celui de la montée du nazisme. Il s’agit là d’une évolution strictement con-temporaine de la tendance constatée en Alle-magne où les cinéastes les plus exigeants scrutaient ce même passé avec lucidité : Théodor Kotulla, Helma Sanders-Brahms, Peter Lilienthal, Alexander Kluge, Michael Verhoeven, Percy Adlon, Edgar Reitz*. Le vétéran Franz Antel lui-même, qui ne nous avaient pas habitués à de telles références, présentait en 1981 Der Bockerer, dont le héros est un petit commerçant viennois dépassé par la tourmente nazie, l’antisémi-tisme et la guerre. Heidenlôcher (1985), premier film de Wol-fram Paulus décrit un village des Alpes pen-dant la guerre, et un déserteur qui se cache dans la montagne. S’y opposent des servi-teurs zélés de l’Etat nazi, des villageois pres-que indifférents et quelques-uns capables de solidarité, et les prisonniers de guerre français ou polonais. Le plus beau film de cette série, le plus profond peut-être, est Welcome in Vienna d’Axel Corti qui traite du retour des émigrés dans la Vienne de 1945 et des contradictions d’un pays que les auteurs sem-blent percevoir comme condamné à l’oppor-tunisme. Bien entendu des tendances très diverses s’expriment au sein de la nouvelle produc-tion autrichienne. L’oeuvre de Titus Leber, non dépourvue de références historiques très précises est orientée vers la poésie, le recours à l’inconscient, une volonté de créer des ima-ges nouvelles, de renouer avec certains tru-cages parfois désuets (surimpressions par exemple). Ses films de 1977 et 1981 consa-crés à la musique — Schubert (Feind bin ich eingezogen) et Anima (évocation de Berlioz et de la Symphonie fantastique) — séduisent par leur non-réalisme, une mise en scène intuitive, leur théâtralité musicale et d’impressionnantes recherches plastiques. Robert Dornhelm, connu internationalement par une co-production américano-autri-chienne Seule elle danse (She dances alone, 1980), semble fasciné par l’art du spectacle, le ballet, le théâtre. Après avoir travaillé à l’étranger, il est revenu en Autriche en 1984 où il a réalisé Echo Park (1985), une comé-die mettant aux prises une jeune femme qui veut devenir une star avec deux autres rêveurs, un poète livreur de pizza et un jeune inventeur. Milan Dor semble représenter une autre voie de la comédie et de la réflexion sur le spec-tacle. Né à Vienne, d’origine yougoslave, ayant partagé ses études entre Belgrade et Vienne, il a offert avec Malambo (1984) une savoureuse comédie, drôle et sensible, qui sait mêler l’utopie d’un jeune saltimbanque qui rêve d’être le nouvel Houdini et la débrouillardise dont il faut savoir faire preuve dans la société — débrouillardise incarnée par un pittoresque Yougoslave qui s’improvise manager. Moins réussie, la fusion entre la comédie musicale et l’évocation très distante et très référencée des mythes du cinéma, et tout par-ticulièrement du film noir a été tentée en 1986 par Niki List avec Milliers Büro. Ce dernier film n’est pas exempt de concessions com-merciales, dans certains aspects de son humour, notamment. Il est vrai que l’éco-nomie du cinéma autrichien a besoin de films qui puissent toucher un public relativement large. De telles orientations intéressent essen-tiellement la comédie de moeurs et le récit policier (encore que certains fassent semblant d’en respecter les règles pour mieux les con-tourner). Les autres genres constitués sem-blent très rarement illustrés. Schizophrenia de Gerhard Karge, un pur film d’épouvante semble constituer une exception. Les dispositifs autrichiens Une section cinéma et télévision a été créée en 1952 au sein de l’Ecole supérieure de musi-que et d’art dramatique ; ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est la promotion dont béné-ficient les travaux des étudiants, qui sont pro-grammés aux Journées du cinéma autrichien organisés annuellement à Wels (et qui ont présenté en 1985 environ 200 films dont 18 nouveaux longs métrages). Un atelier cinématographique a été créé en 1979 par la ville de Linz, et un Studio pour le film d’ani-mation expérimental a été fondé en 1982 au sein de l’Ecole des arts appliqués de Vienne. Plusieurs autres structures plus ou moins officielles interviennent dans la production de vidéogrammes. Dans le domaine de la production, c’est bien entendu la politique d’intervention de l’état central qui est devenue déterminante avec l’adoption en novembre 1980 d’une loi qui a créé un fonds spécial (Osterreichischer Filmfôrderungsfonds, ou O.F.F.). Les cri-tères d’intervention mêlent le souci de la qua-lité cinématographique et l’espoir d’assurer un minimum de rentabilité au film aidé. Cha-que année 5 ou 6 films bénéficient ainsi de crédits représentant 20 à 40 des coûts de production. La création de l’O.F.F. n’a pas supprimé la possibilité d’une intervention du Ministère de l’Education, des Beaux-Arts et du Sport, qui avait la charge d’aider la créa-tion cinématographique depuis 1973. Sur les 18 nouveaux longs métrages présen-tés à Wels en 1985, 6 ont reçu l’aide de l’O.F.F., 3 une aide directe du ministère, 2 une aide de la ville de Vienne, 2 une autre aide régionale. Les 6 films aidés par l’O.F.F. ont également reçu des subsides du Fonds spécial, la chaîne TV étant aussi co-productrice de quelques autres films, en par-ticulier avec les chaînes allemandes. Bien que les fonds de l’O.F.F. ne puissent satisfaire en moyenne qu’une demande sur sept, la production de longs métrages s’est nettement renforcée. En 1984, 17 nouveaux films autrichiens ont été mis sur le marché sur un total de 350 films pris en distribution, dont 55 étaient allemands, 5 suisses, 139 américains et 59 français. L’étroitesse du marché national reste néan-moins la contrainte majeure. Ce pays qui compte un peu plus de 7 millions d’habitants n’offrait en 1984 que 536 salles de cinéma dont la fréquentation globale ne dépassait pas 18 millions d’entrées dans l’année. A titre de comparaison : la France, soit 54 mil-lions d’habitants, disposait à la même date de 4 900 écrans réalisant 187 millions d’entrées. L’Allemagne fédérale est donc un enjeu important pour la production autri-chienne, d’où les nombreuses co-productions avec Berlin, Hambourg et surtout Munich (Munich n’est jamais qu’à 130 km de Salz-bourg). La participation de techniciens autri-chiens aux films tournés en Allemagne n’est donc pas sans logique. Xaver Schwarzenber-ger, directeur de la photographie de nom-breux films tournés dans les studios de la Bavaria a toutefois réalisé son premier film Der stille Ozean (1983) produit à Munich, avec le concours de l’O.R.F. Valie Export (de son vrai nom Waltraud Lehner), une des pionnières du jeune cinéma autrichien a cumulé pour son dernier film Die praxis der Liebe : une production indé-pendante, les aides autrichiennes et une sub-vention de Hambourg. Maria Knilli, née à Graz, en 1959 a fait ses études à l’école de cinéma de Munich. Son beau film Lieber Karl (1984) a été financé par un producteur autrichien établi à Munich, la télévision bavaroise et la télévision autrichienne. Le cas de Wolfram Paulus, né en 1957 près de Salzbourg, diplômé de l’Ecole de cinéma de Munich, et scénariste de Lieber Karl, apparaît lui aussi comme exemplaire. Hei-denliicher (1985) son premier film a été pro-duit par la même société que celle qui avait produit Lieber Karl, en co-production avec un producteur viennois et avec la télévision bavaroise. Il a reçu le prix bavarois du cinéma en janvier 1986, qui a été décerné pour la septième fois. Etonnante coïncidence, tous les prix bavarois cette année por-tent sur des coopérations avec l’Autriche puisque les autres récompenses sont allées à l’image, à la réalisation, à l’actrice principale du troisième film de Xaver Schwarzenberger Donau Walzer et à l’interprète masculin du film de l’Autrichien Peter Keglevic le Flic et la fille (Der Bulle und das Madchen). Le public français quant à lui n’a eu que rare-ment l’occasion de voir des films autrichiens contemporains. Quelques-uns ont connu une petite distribution commerciale : Schubert de Titus Leber en 1979, Kassbach de Patzak et l’Etuve de Cook en 1981, Seule elle danse de Dornhelm en 1982, Egon Schiele de Vesely en 1983, Marlene de Maximilian Schell en 1985 et Lieber Karl de Maria Knilli en 1986.

* Cf. « Le passé nazi dans le cinéma allemand contemporain » in Revue du Cinéma, n° 381 (mars 1983).