Ama Film
Fondée en 1976 à Rome par Avati, son frère cadet Antonio (qui a souvent travaillé avec lui comme assistant et co-scénariste) et son ami Gianni Minervi, l’Ama (d’après leurs initiales) produit depuis cette date tous ses films et — en collaboration avec la RAI —ses feuilletons télévisés. Cette petite et cou-rageuse entreprise n’a jamais connu un grand succès commercial ; son meilleur résultat au box-office reste probablement celui de Aiutami à sognare, distribué régu-lièrement dans toute l’Italie par Titanus alors que ses autres productions circulent dans la plus grande discrétion (quand elles ne voient pas la lumière que sur le petit écran exclusivement). Ama Film a produit aussi les films d’autres réalisateurs : Un dramma borghese (1979) et La Baraonda (1980), de Florestano Vancini ; Macabro (1980), le premier film de Lamberto Bava, le fils du grand Mario Bava et Fuori sta-gione (1981), de Luciano Mannuzzi, autre débutant. En cours de préparation, les pro-chains films de Nanni Loy et Giuseppe Ber-tolucci.
Au-delà (L’)
Il y croit et il en a peur, comme tout bon catholique pratiquant. Mais il croit aussi aux théories ésotériques alchimiques, qu’il a étudiées. Cet étrange amalgame de foi et d’attirance pour l’inconnu se reflète par exemple dans les personnages des deux prê-tres de La Casa dalle finestre che ridono et de Zeder : ce sont eux les méchants respon-sables de cette histoire horrifique, eux qui annoncent un au-delà pire que l’enfer. La Mazurka traduit une vision assez blasphé-matoire (presque bunuellienne) de la sain-teté. Nulle frontière entre être et ne pas être dans son sublime Le Strelle nel fosso : un panthéisme serein y désamorce les peurs de l’ auteur .
Cavina et Capolicchio
Le gros et le maigre. Les deux autres pôles de la triade, ou : tel qu’en lui-même enfin l’auteur se met en scène dans Jazz Band et Cinema !!! . Gianni Cavina évoque la face exubérante, extrovertie, candide, du réali-sateur, alors que Lino Capolicchio repré-senterait plutôt son côté introverti, refoulé, éternel enfant. Ils reprennent leurs rôles à la Laurel et Hardy dans Le Strelle, à la suite de quoi Capolicchio disparaît de l’univers avatien (signe de maturation ?). Dans Zeder, Gabriele Lavia — débutant au cinéma, mais par ailleurs merveilleux acteur et metteur en scène de théâtre — incarne un personnage digne du Capolicchio de La Casa dalle finestre che ridono : un frêle et anonyme pèlerin qui appréhende des secrets trop grands pour lui. 1. D’après des entretiens avec Pupi Avati, l’un publié dans « Positif » n° 264 de février 1983 et un autre à paraître dans « L’Ecran fantastique ».
Echecs
Son deuxième film, Thomas… gli indemo-niati, interprété entre autres par la débu-tante Mariangela Melato (qu’il se vante d’avoir découverte) et présenté au Festival de Locarno en 1970, n’a jamais trouvé de distributeur ! Cela dit, le film n’est pas non plus fait pour plaire : il s’agit d’un drame plutôt verbeux, mettant en scène un groupe d’acteurs de province en train de monter une pièce et qui sont envahis par les fantô-mes conçus par l’auteur. Il est vrai aussi qu’à l’époque, en Italie, c’est encore la plé-thore rayon production cinématographique et que bon nombre d’oeuvres de jeunes réa-lisateurs restent confidentielles — voire invisibles. Ajoutons que notre cinéaste n’a pas à proprement parler connu la gloire avec son premier film, Balsamus, pourtant plus spectaculaire et dont quelques (rares) critiques disent du bien. Ses deux films sui-vants, La Mazurka del barone della santa et del fico fiorone et Bordella, constituent des demi-échecs, plutôt sur le plan artistique que commercial, d’ailleurs : impatient de faire connaître son univers et sa vision du monde, l’auteur se noie littéralement dans les images et les situations grotesques sou-vent confuses. Il faut dire que ce sont les producteurs qui l’incitent à introduire des gags dans La Mazurka et à mettre des répli-ques vulgaires dans la bouche des personna-ges incarnés par Ugo Tognazzi et Paolo Vil-laggio. Quant à Bordella (son seul film situé hors de l’Emilie, sa région), dans un grand élan de satire internationale, il n’a pour but que de fustiger à la fois l’impérialisme amé-ricain, Kissinger et la CIA (rien que ça) ; ça marche très bien en salles jusqu’au moment où les copies sont saisies et les auteurs et producteurs, jugés et condamnés pour obs-cénités. Ce n’est qu’un des épisodes fastes de la vie au Beau Pays, où la censure sévit à droite comme à gauche…
Ecole
Nous avons eu la chance de l’entendre parler pendant deux heures devant des lycéens auxquels il racontait ses débuts au cinéma : son apprentissage des techniques de base, comment il découvrait les producteurs romains et les difficultés qu’il rencontrait pour s’exprimer au sein d’une industrie per-pétuellement en crise. Tandis que les étu-diants étaient littéralement subjugués par la sincérité de son discours (se disant évidem-ment, que, faire du cinéma ce n’est plus ce que c’était), nous songions que de 1968 à nos jours, Avati avait parcouru un chemin absolument unique dans l’histoire du cinéma italien : marginal féroce au départ, il s’intègre à l’industrie ou à ce qui en reste de moins pourri afin de construire pierre à pierre un édifice original et assez solide pour assurer son avenir en tant qu’auteur, scénariste et producteur. On chercherait en vain un meilleur exemple au cours de cette décennie. Cela dit, il ne s’érige pas le moins du monde en « exemple » ; tout au con-traire, il préfère mettre en évidence ses errances et ses errements. Les questions que les écoliers posent au réalisateur trahissent un sentiment de panique inconscient et tou-tes se ramènent à cette seule et même inter-rogation : « Existe-t-il encore une voie qui permette de faire un cinéma à la fois profes-sionnel et personnel ? » Personnellement, nous n’avons pas de réponse. (A propos d’école : Avati enseigne à l’Institut pour les Scénaristes fondé en 1981 à Rome par Age.)
Emilie Romagne
Pour lui, c’est tout. C’est évident dès la première image de son tout premier film, rien qu’à voir avec quel amour il regarde le paysage de cette campa-gne ensoleillée. Les mythes de sa terre, les légendes que sa mère lui raconte dans son enfance, les saveurs et les odeurs de la Pia-nura Padana ressurgissent constamment dans ses oeuvres, à un degré et avec une intensité variables, toutefois. Dans Le Strelle nel fosso on est presque suffoqué par la splendeur du décor naturel, des marais et des plantations où saints et hommes du peu-ple vivent en symbiose. C’est une Bologne années 50, encore bien peu métropolitaine, qui préside aux hauts faits des jeunes musi-ciens et des cinéastes en herbe de Jazz Band et de Cinéma ! ! ! La nostalgie de ce qu’était hier la fertile région qui l’a vu naître est obsédante dans Aiutami a sognare : la plé-nitude de la nature, le temps suspendu à cause de la guerre et la ville lointaine, autant de miroirs offerts au regard serein d’Avati. Regard moins contemplatif lorsqu’il plonge au-delà de la surface qui lui est si chère : dans La Casa dalle finestre che ridono comme dans Zeder, d’horribles maléfices se cachent derrière chaque mai-son, chaque mur, chaque fresque. Les tom-bes s’ouvrent dans les cimetières en convul-sions et les morts reviennent comme recra-chés par cette terre apparemment si accueil-lante. Si presque tous les réalisateurs de cette région prodigue en cinéastes (Fellini, Zavattini, Bertolucci, Zurlini, Cottafavi, Bellochio, Antonioni et tous ceux que nous oublions) lui ont payé leur tribut, Avati semble possédé par elle corps et âme, inca-pable (heureusement) de la quitter ou de ne pas en parler, dedans, dessus ou en-dessous.
Jazz
Dans sa jeunesse, il y a le jazz et rien d’autre. A l’époque, les mythes américains arrivent en Italie chargés d’un énorme pou-voir de suggestion — comme il le montre dans son autobiographique Jazz Band, et pendant des années, il joue de la clarinette dans des caves de province et lors de tour-nées en Italie ou à l’étranger. Il réussit à se faire un nom lorsque sa passion faiblit ; c’est qu’il se rend compte que, dans ce domaine, il n’égalera jamais les plus grands. Le cinéma, passion de rechange, le tente alors : il va en « jouer » comme du jazz, en liberté, avec des amis, en reprenant des thèmes ou des genres plus ou moins classiques qu’il personnalisera. Dans pres-que tous ses films la bande-son retentit des accents du swing, du hot ou du blues, et les hommages explicites aux maîtres de La Nouvelle Orléans et de Broadway enrichis-sent des trames très ouvertes. Dans Dancing Paradise, il enchaîne une émouvante suite d’hommages et de portraits ironiques de musiciens de sa grande époque : autant de survivants des années 50 avec leurs orches-tres toujours crépitants. Dans son récent Accadde a Bologna, il met en scène la soirée d’adieu de deux vieux musiciens de jazz qui se souviennent de leurs succès d’antan. Aiu-tami a sognare (ou « Help Me to Dream ») est le titre de cette chanson de Gershwin que le pilote-musicien américain inscrit sur la carlingue de son avion. Ça pourrait aussi être la synthèse de la poétique avatienne.
Nain
Son gnome préféré, c’est Bob Tonelli, le protagoniste de son premier film, Balsamus l’uomo di satana. Visage plutôt bourgeois, voix croassante, allure sinueuse, Bob appa-raît dans presque tous ses films. Aussi ridi-cule et anachronique qu’il soit avec ses per-ruques et ses déguisements d’échappé du Settecento, le magicien Balsamus est déjà un miroir pour le metteur en scène ; per-suadé de sa laideur depuis l’adolescence, il se voit difforme mais capable (à l’aide de quelques trucages cagliostriens, ou grâce à la magie du cinéma) d’accomplir des mira-cles de beauté. Filmé en contre-plongée, comme dans Zeder, Bob est un Géant du Mal ; dans Titti defunti tranne i morti, Bob parvient à exploiter ses disgrâces physiques au point de nous faire crever de rire. Ses emplois sont illimités. Ses racines bolognai-ses le lient étroitement au paysage intérieur et extérieur d’Avati.
Nez le plus tordu du cinéma (Le)
C’est sans aucun doute celui de Carlo Delle Piane, autre acteur-fétiche d’Avati. Sa car-rière commence le jour où la production de Cuore (de Duilio Coletti, 1948) lance un concours de recrutement : il s’agit de trou-ver l’enfant le plus laid qui soit ; grâce à un visage plus surréel que celui de Totà (dont il pourrait être le fils et à côté duquel il joue souvent, notamment dans Guardie et ladri [Gendarmes et voleurs] de Mario Monicelli, en 1951) et à un nez de boxeur gâteux, il est choisi à 12 ans pour le rôle, après quoi il interprète des dizaines et des dizaines de films — comédies romaines avec ou sans chansonnettes, parodies populaires etc., comme enfant prodige, jeune homme arriéré ou connard de service. On est telle-ment habitué à le voir paraître partout et toujours dans le même emploi qu’on l’iden-tifie pratiquement à son personnage. Avati a la surprise de connaître l’homme tel qu’il est en réalité : cultivé, sensible et doté d’une réelle profondeur de sentiments. Dans une période où il est presque oublié par les cinéastes italiens, il lui confie le rôle parodi-que du policier de Tutti defunti tranne i morti : Carlo Delle Piane y incarne un détective improvisé qui enquête sur une famille de maniaques et d’assassins. Son imbécillité monumentale, sa gaucherie digne d’un Jerry Lewis, ses grimaces et ses tics drôlatiques contribuent à la réussite de ce thriller en folie. Mais Delle Piane revient, toujours irrésistible quoiqu’un peu plus sage, dans les films suivants d’Avati : nous ne sommes pas près d’oublier son person-nage de paysan naïf face à la beauté sublime de la Mort (Roberta Paladini) dans Le Strelle nel fosso ; là-dessus, dans Dancing Paradise il exhibe des pouvoirs surnaturels (mais pas trop) qui l’apparentent aux anges de troisième catégorie alla Capra. C’est que Delle Piane n’est pas un phénomène naturel (Avati le sait) ; il semble en effet voler, léger, d’un film à l’autre, sans toucher terre, ni être touché par ce qui se passe autour de lui.
Rossellini
Depuis longtemps, Avati accumule maté-riaux et curiosités en tous genres sur Roberto Rossellini, le père du néo-réalisme italien. Il voudrait arriver à créer un grand feuilleton (en co-production avec une chaîne de TV américaine) sur la vie de ce personnage légendaire. Ses énormes contra-dictions l’intéressent beaucoup : dans sa vie privée (dont tout ne pourra pas être révélé, pour des raisons évidentes), ce sont ses liai-sons avec plusieurs femmes en même temps, sa réputation de séducteur, sa constante infidélité (« Oh, comme tout cela ne me res-semble pas ! » s’exclame Pupi en regardant son épouse) ; dans sa vie publique, l’incroyable facilité avec laquelle il intègre dans ses films des détails de la réalité immé-diate auxquels il est confronté quotidienne-ment, ou dont ses collaborateurs lui font part — même au dernier moment. Cette aisance créatrice, voilà la qualité qu’Avati lui envie, au fond. Et dans le film tiré de sa biographie (qu’il est en train d’écrire avec l’aide d’anciens amis de Rossellini comme Suso Cecchi d’Amico, le célèbre scénariste), il s’efforce d’élucider ce mystère. Les héri-tiers de Rossellini sont bien entendu intéres-sés au projet, notamment Renzo Rossellini, l’intelligent patron de la Gaumont Italia, qui a déjà participé à la production et à la distribution de Zeder.
Télévision
C’est à elle qu’il doit le vrai succès, et ses feuilletons — de même que la version lon-gue de Aiutami a sognare — obtiennent des indices d’écoute élevés. Toujours pour la télé, il filme les concerts des gens qu’il aime, comme les Pooh ou son ami Hengel Gualdi. On le voit souvent dans des shows ou des émissions de variété. Avec ou sans sa clari-nette, il instaure un courant de sympathie qui prolonge le charme de ses films. Ses oeuvres ont en commun avec leur auteur une décontraction rare au petit écran : aucun effet n’est souligné, aucune note n’est trop forte. L’homme est son style, et vice versa.