Franco Giraldi

Il est triestin. Pas vraiment autrichien, pas vrai-ment slave. Mais pas seulement italien. « Homme de frontière ». La frontière entre le catholicisme italien, le rigorisme d’Europe centrale et le monde slave. Né en 1931 dans la province de Gorizia où les en-fants parlent slovène, Franco Giraldi aborde le cinéma comme critique, avant de se transférer à Rome en 1952. Il y accumule pendant 10 ans une expérience professionnelle diversifiée : il est jour-naliste, script, scénariste, tour à tour assistant de Pontecorvo, Lizzani, Montaldo et De Santis, avant de tourner (en 2ème équipe) pour Corbucci et Sergio Leone (Pour une poignée de dollars). Dans son parcours scindé, la carrière de F. Giraldi illustre la « biographie difficile » d’un homme de cinéma italien qui débute dans un contexte (le « nuovo corso » de Lombardo) qui contraint les jeunes réalisateurs à passer par des genres qui sourient davantage au box-office qu’à leur inspi-ration propre. Ainsi Giraldi commence-t-il par le « western à l’italienne », qui du reste le fit immédiatement apprécier du public, et, chose plus rare, de la cri-tique. C’est que ses westerns (Sept pistolets pour les Mac Gregor en 65, Sugar Colt en 66, Sept femmes pour les Mac Gregor et Escondido en 67) détournent le genre avec une rare finesse paro-dique ou lui donnent une charge idéologique qu’il n’avait pas encore coutume de porter. Début 68, Giraldi passe du western à la comédie. Une comédie qui n’est pas tout bonnement… « à l’italienne ». Car les 4 films comiques qui se succèderont avec une grande fortune publique et critique sont certes spectaculairement savoureux. Mais ils sont fort décapants, et loin de se vouer à la farce et aux facilités d’un certain rire-spa-ghetti, ils s’en prennent (férocement parfois) à la morale sexuelle de l’italien (etc.) moyen. Chez Giraldi, la satire est au vitriol, et les empreintes culturelles qui la rehaussent « travaillent » le comique de moeurs à l’abri des conventions du genre. La poupée anticipe sur l’explosion de Mai, la contestation sans appel d’une génération par l’autre : Tognazzi en fait les frais et se remettra mal du traitement auquel le soumet une très cyni-que adolescente… Coeurs solitaires (1969) stig-matise le conformisme, l’hypocrisie et la vulgarité de la bourgeoisie italienne, à travers la pratique échangiste d’un couple où Tognazzi, là encore, joue un rôle peu glorieux. Monica Vitti rejoint Tognazzi pour le Supertémoin (1970), où le comi-que prend d’étranges teintes amères et grotesques. Elle reste seule dans Les ordres sont les ordres (1971) où la mise en question féminine est défini-tivement dérisoire pour l’« ordre » masculin. Alors commencent ce que Giraldi appelle ses « grandes vacances » : à savoir, son cinéma à lui, qui est aussi un retour à sa terre natale. En 1972, la R.A.I. permet à Giraldi de réaliser La rose rou-ge, qui a la senteur composite et discrète de la culture triestine et de toute la tradition qu’elle a en effluve. Cette admirable réussite de cinéma in-timiste restitue les palpitations les plus secrètes du roman de Quarantotti Gambini. Après l’écri-vain istrien, Giraldi adapte pour la télévision 3 récits de Dostoievski : nul n’était, plus que lui, qualifié pour faire en 1975 ce Long voyage, au cours duquel Giraldi identifie des signes majeurs de la crise moderne, individuelle et collective : la schizophrénie, le sadomasochisme ou la suffisan-ce des puissants. C’est à Trieste que Giraldi, tou-jour produit par la télévision, revient pour tour-ner en 77 une nouvelle adaptation littéraire : Une année d’école, où se ramassent, autour d’un très moderne personnage féminin, les esporis d’une génération qui ne se. savait pas… perdue. Aujourd’hui, Giraldi, qui vient d’achever le tour-nage de La giacca verde (d’après Mario Soldati) poursuit dans la même voie, d’un cinéma littérai-re et pourtant bien actuel, qui semble être la sienne. Mais dans quelque genre que ce soit, le cinéma de Giraldi a une dignité et une pertinence, une épaisseur et une sensibilité que le cinéma italien atteint bien plus rarement qu’on ne le dit. Original et mesuré, intelligent et limpide, ce cinéma s’adresse a un très large public. Ce cinéma hors des modes est cinéma d’auteur, au sens plein du terme. N’est-il ‘pas temps d’en apprécier la qualité ?