Jean-Louis Bory

Jean-Louis Bory

Le cinéma, c’est simple, ça doit aider à vivre. A mieux vivre. C’est-à-dire à mieux voir et à mieux entendre : voir, entendre des choses, des gens, des faits — une réalité — que, sans cette aide, nous ne verrions pas ou nous verrions mal. Voyant et entendant mieux, à mieux comprendre et plus; donc, si possible, à aimer plus et mieux. Etant bien entendu qu’il existe, outre la « réalité réelle » (le spectacle du monde) un univers au-delà ou en marge de cette réalité-là pour l’exploration duquel le cinéma se montre merveilleusement armé. Les droits de l’imagination à côté des devoirs de l’observation. Méliès à côté de Lumière. Caméra = chambre fabuleuse. Non seulement elle montre tout ce qui est mais elle rend tout possible, à commencer par l’impossible.
Ne me demandez pas si je pratique une critique existentialiste ou essentialiste, ou situationiste ou structuraliste ou je ne sais quoi d’autre en iste. Je n’en sais rien et je m’en moque. Un film, pour moi, c’est quelque chose de vivant. Chaque film renou-velle l’aventure. Aucun concept du cinéma en soi, aucun dogmatisme a priori ne m’embarrasse. Ce n’est pas le cinéma qui excite d’abord, ce sont des films. Et puis, oui, peut-être, si tout va bien, il existe alors le cinéma. Prière à Saint Lumière et à Saint Méliès. O Saint Lumière! O Saint Méliès! Faites que vivent les films venus des quatre coins du monde pour s’offrir au public vivant des salles vivantes. Faites que s’accélère l’arrivée à l’âge du spectacle des innombrables générations à venir pour lesquelles la question de savoir s’il faut prendre le cinéma au sérieux n’est pas une question sérieuse. Rappelez aux auteurs qu’il n’y a pas de genres mineurs, il n’y a que des auteurs minables, que « mettre en scène » — ou, plutôt, réaliser — c’est regarder le monde tel qu’on le pense et rendre sensible cette pensée. Aidez-les à dominer l’engrenage de l’in-dustrie et du commerce pour affirmer la primauté de la recherche même si (surtout si) elle culbute nos petites habitudes. Aidez-les à voir sans trébu-cher. Aidez-moi, pauvre critique, à voir sans me mentir et à aider à voir sans concession.
Amen.